jeudi 14 décembre 2023

Hommage à un Clavecin


Cet exceptionnel clavecin, de la main de Hans Ruckers, date de la fin du 17ème siècle et est conservé au Musée des Instruments de Musique de Bruxelles (inv. 3848). Cet instrument a été largement restauré et amélioré en France, notamment en 1774 à Paris par Pascal Taskin. L’extérieur de la caisse ainsi que le couvercle de l’instrument sont décorés de scènes militaires issues de l’atelier du peintre Adam Frans van der Meulen. On y voit la prise des villes d’Oudenaarde, Zoutleeuw, Courtrai et Charleroi par Louis XIV, dans la seconde moitié du 17e siècle. 

En 1997, l'Institut Royal du Patrimoine Artistique (IRPA) de Bruxelles décida d'entamer la restauration du meuble et des peintures qui le décorent, choisissant ainsi de préférer la restauration picturale à la restauration instrumentale.

A l'occasion de la fin de sa restauration, avec mes collègues Frédéric Haas (clavecin), Mira Glodeanu (violon) et Liam Fennelly (viole de gambe), nous avons été choisis pour illustrer musicalement cet instrument, interprétant de la musique française du Grand Siècle pour flûte, non pas sur ce merveilleux clavecin de Ruckers , mais sur un instrument contemporain, similaire à l'original. 

Ce fut une merveilleuse aventure que d'imaginer le répertoire qui aurait pu être joué sur ce clavecin réduit au silence, en lui redonnant sa voix, le temps d'un disque.



Pour conserver la mémoire de cette aventure, la Fondation Roi Baudouin, en collaboration avec Cultura Europa, nous permit en effet d'enregistrer un CD qui rencontra un grand succès.

https://www.pointculture.be/mediatheque/musique-classique/hommage-a-un-clavecin-musique-francaise-du-grand-siecle-ba5040#



samedi 22 juillet 2023



« J’ai lu l’ineffable palimpseste.

Un instant, je m’y suis retrouvé,

Puis, soudainement, d’un seul geste,

Tout était effacé. »


Ce texte accompagne le catalogue de l'exposition monographique organisée par la Ville de Mons à partir de septembre 2023 consacrée à l'œuvre de l'artiste Didier Mahieu (1961) au Memorial Museum de Mons



Entrer dans la peinture de Didier Mahieu, c’est opérer une descente dans les tréfonds de l’infiniment mince, se livrer à l’exploration discrète d’une géologie spatio-temporelle qui structure sa matière par strates, par époques, et qui se lit pourtant sans apparente direction.

C’est aussi une plongée dans les nimbes opalescents du soi, cette région de notre anatomie mentale, tout à la fois lumineuse et opaque, illisible sous les calques de nos peurs et de nos certitudes.

C’est enfin une invitation à l’assoupissement du moi, confiant au regard du cœur la nécessaire dépossession des jalons qui rassurent, congédiant les impatiences à comprendre, libérant des inquiétudes du destin, et renvoyant dos à dos raison et logique.

La pratique de cet artiste polymorphe est toujours dictée par un souci aigu de ne rien enfermer, de ne pas contraindre, cherchant d’abord l’émotion à travers une « ineffable narration », curieux oxymore – raconter ce qui ne peut se dire - puisqu’à mesure que, sur la toile, le papier, l’écran, se développe le récit, s’en retire le sens. Tenter de dire la chose, chez notre artiste, c’est paradoxalement la laisser se dissoudre, l’inviter à disparaître, fondue par la touche du pinceau dans le lait du souvenir. Serait-ce là l’essence-même de sa peinture que de métaboliser la réalité, pas seulement figurative, en en transmutant la nature au profit d’une nouvelle vocation à exister : la modification du réel en un substrat vaporeux, plus lisible de son irréductible complexité ? Cette transmutation de la « matière réel » en un éther impalpable, voilà l’alchimie à laquelle se livre notre peintre. C’est après l’évaporation du réel sous son pinceau que peut se définir sa substance, comme dans les boîtes à papillons dont ont disparu les sujets rongés par d’autres insectes, et dont la pulvérulente ombre permet d’en mieux cerner le souvenir. Cette peinture convoque donc immanquablement la perte, la disparition, le glissement, qui sont autant de formes d’un reconditionnement du réel par sa propre mise en joue, par sa vaporisation, pour en mieux reconstituer l’essence.

Il émane donc de l’œuvre de Didier Mahieu un état de conscience indéfini, une forme de poétique peinte qui dit un sentiment trop grand pour être décrit de façon adéquate, qui ne peut donc pas être intrinsèquement exprimé dans un langage pictural univoque, mais auquel le sujet regardant ne peut avoir accès qu’à partir de lui-même, pour mieux se raconter. C’est dans cet appel à l’autre, ce souhait sincère de toucher, que s’inscrit la démarche du peintre, engendrant entre l’artiste et son public un lien complice et intime : le spectateur entre dans l’œuvre, comme on entre en relation, c’est-à-dire par une initiation du regard qui conduit à la compréhension individualisée du tableau. Chacun y trouve ce qu’il y cherche, ce qu’il croit y reconnaître, à commencer par lui-même. Dans ce rapport altruiste par lequel l’artiste ouvre les bras à celui auquel il destine sa peinture, Didier Mahieu procède à la réparation de nos blessures, à l’éveil de nos consciences, à l’interrogation de nos souvenirs. Il se saisit de nos rêves, irrévocablement voués à la perte et à l’oubli, et nous les restitue dans cette indéfinissable acuité du songe qui cohabite aussi avec l’informe.

Dans ce voyage paradoxal entre le fini et l’indéfini se révèle toute la pratique picturale du peintre, conjuguant une parfaite maîtrise du dessin et de la peinture figurative avec l’expression spontanée et libre d’une abstraction lyrique assumée. Procédant par couches successives, tel un laqueur japonais, le peintre efface et revient à la surface picturale, frénétique va-et-vient entre le signifiant et le signifié. Ces tableaux sont comme les tablettes de cire de l’antiquité, sans cesse réécrits, effacés, raturés, véritables palimpsestes de notre humanité. La patine du temps, le retour incessant à une expression peinte qui ne veut jamais s’interrompre, la polysémie du récit, voire sa disparition, conduit à une forme de ritualisation, de sacralisation même de ces ‘objets peints’, désormais chargés d’une énergie maximale, enrichis d’une intention qui est aussi une prière, et qui leur confère un statut d’icônes. Leur préciosité tient davantage à la condensation des émotions qu’à leur réalité formelle.

DiMu détourne des supports anciens pour densifier davantage son dessin ou sa peinture, cherchant à communiquer ce trouble né d’une trame brutale, inappropriée, qui tranche avec le sujet, onirique, subtil. En sous-jacence, la superposition des images et parfois des mots renforcent la compréhension que l’on croit avoir de la complexité. En réalité, cette lecture à plusieurs entrées n’en fait qu’épaissir le mystère.

Mais que disent ces visages mutiques, ces personnes qui tournent le dos, ces yeux et ces bouches fermés, pourtant si présents ? Que prophétisent ces lointains bleutés, ces marines terrestres de grand format dont la promesse d’un ailleurs semble ne pas pouvoir être tenue ? Que chuchotent ces natures mortes métaphysiques, sous la lumière franche de leur évidence, qui paraissent vouées au silence ?

Cette peinture nous raconte l’impossibilité de réellement comprendre le monde tel qu’il est, l’incommunicabilité des sentiments, la dissipation du souvenir tant aimé, la nostalgie d’un autrefois arcadien, l’estompement des convictions fossiles, en un mot, elle touche à l’universelle finitude humaine, sa misère, sa difficulté à être, sa paradoxale nature, spirituelle et matérielle. Notre humanité peine à se définir, souffre de son implacable destin, se débat dans ses contradictions et pourtant, elle se glorifie de sa prométhéenne capacité à égaler Dieu.

Partagée entre deux expressions, figurative et abstraite, la peinture de Didier Mahieu endosse cette dualité. Cette part divine se niche dans la pratique figurative, qui donne à voir la création comme elle est, en vérité, dans sa platonicienne triade du vrai, du bien et du beau, là où la pratique abstraite, lyrique, magmatique et spontanée, renvoie à la saturnienne nature de l’humanité, contingentée par un temps destructeur qui conduit tout au néant, tandis qu’elle est figée, les pieds dans la fange terrestre. La confrontation des pratiques picturales, les meurtrissures apportées à l’image, les outrages imposés aux matières, les salissures et les effacements directement portés sur de parfaites descriptions, la récupération de rebus portés au rang de supports,… sont autant de métaphores de l’existence humaine, en ce qu’elle est imparfaite, inconstante, souffrante, désillusionnée.

C’est de tout cela dont se saisit la peinture de Didier Mahieu.

Ces images agissent en nous comme des philtres, lentement, sourdement, elles nous transforment aussi, embarquant dans leur contenu ce qui nous y investissons. Le voyage sur la Barque de Charon fait aussi partie de cette intention de l’artiste de nous amener sur une autre rive, celle du possible, du promis, du permanent. Mais de ce voyage, de ce transfert vers un ailleurs, nous ne sortons pas modifiés. Nous en avons perçu la possibilité et en revenons avec la fulgurante impression que nous ne sommes en réalité jamais partis. Une barque chargée de rochers symbolise bien l’impossibilité de flotter sur le torrent de notre existence ; nous souhaitons partir hors de nous-mêmes, mais nous sommes lestés par les bagages gravides de notre cheminement. Le bombardement de notre vie par les aléas, les épreuves, les désillusions, les trahisons, empêche notre migration et nous assigne à résider en nous-mêmes.

L’ensemble de l’œuvre de Didier Mahieu, et pas seulement son œuvre peint, parle de cette difficulté à circonscrire, à identifier, à stabiliser ; elle est donc, décidément, marquée au sceau de l’impermanence, du mouvant, de l’itinérant.

Cette peinture fait également citation de la grande tradition de peinture occidentale, de Van Dijck à Antonio Lopez Garcia, agrégeant les enseignements du virement abstrait de Jackson Pollock à Tapies, de l’arte povera, du conceptuel et du surréalisme. Il est donc autorisé d’y voir une cristallisation de talents divers, assemblant des pratiques souvent opposées, rarement mixées en un même lieu de création, la toile, où la valeur de ce qui se raconte vaut plus encore que la façon de le dire. Comment ne pas retrouver également dans la peinture de Didier Mahieu des influences d’Anselm Kieffer ou de Andrew Wyeth à travers non seulement le récit qui se retire mais aussi une vérité descriptive du peintre figuratif qui rend compte de son environnement intime, de ses tabous, de ses colères et de ses croyances ?

Le regard amoureux que notre artiste porte sur le monde et sur la condition humaine en dit long sur l’humanisme à l’œuvre dans son travail. Il est un humain qui partage les affres et les qualités de ses semblables. Il souhaite par son œuvre apporter une explication à une part confuse latente en nous, qu’il tente de déchiffrer non pas en cherchant la bonne clé pour entrer dans la serrure, mais laissant la porte fermée, nous amenant ainsi à imaginer ce qui se cache derrière.

J’ai lu l’ineffable palimpseste.

 

Constantin Chariot




















 

 

 

« L’espérance, c’est le désespoir surmonté »

 

« Qui n’a pas vu la route, à l’aube entre deux rangées d’arbres, toute fraîche, toute vivante, ne sait pas ce que c’est que l’espérance. L’espérance est une détermination héroïque de l’âme, et sa plus haute forme est le désespoir surmonté.
On croit qu’il est facile d’espérer. Mais n’espèrent que ceux qui ont eu le courage de désespérer des illusions et des mensonges où ils trouvaient une sécurité qu’ils prennent faussement pour de l’espérance. L’espérance est un risque à courir, c’est même le risque des risques. L’espérance est la plus grande et la plus difficile victoire qu’un homme puisse remporter sur son âme…

On ne va jusqu’à l’espérance qu’à travers la vérité, au prix de grands efforts. Pour rencontrer l’espérance, il faut être allé au-delà du désespoir. Quand on va jusqu’au bout de la nuit, on rencontre une autre aurore. Le démon de notre cœur s’appelle « À quoi bon ! ». L’enfer, c’est de ne plus aimer. Les optimistes sont des imbéciles heureux, quant aux pessimistes, ce sont des imbéciles malheureux. On ne saurait expliquer les êtres par leurs vices, mais au contraire par ce qu’ils ont gardé d’intact, de pur, par ce qui reste en eux de l’enfance, si profond qu’il faille chercher. Qui ne défend la liberté de penser que pour soi-même est déjà disposé à la trahir.

Si l’homme ne pouvait se réaliser qu’en Dieu ? si l’opération délicate de l’amputer de sa part divine – ou du moins d’atrophier systématiquement cette part jusqu’à ce qu’elle tombe desséchée comme un organe où le sang ne circule plus – aboutissait à faire de lui un animal féroce ? ou pis peut-être, une bête à jamais domestiquée ? Il n’y a qu’un sûr moyen de connaître, c’est d’aimer.

Le grand malheur de cette société moderne, sa malédiction, c’est qu’elle s’organise visiblement pour se passer d’espérance comme d’amour ; elle s’imagine y suppléer par la technique, elle attend que ses économistes et ses législateurs lui apportent la double formule d’une justice sans amour et d’une sécurité sans espérance. »




Bernanos, conférence, Paris, Institut des Hautes Etudes, 1945

vendredi 2 décembre 2022

 

La Nature Artiste

Réflexion sur l’action militante de destruction d’un tableau de Vincent VAN GOGH, le Champ de Tournesols ( National Gallery), par projection de soupe


A priori, cette action militante et destructrice est illustrative du mal de notre temps : la mort de l’esprit de nuance, la confusion des débats, la simplification de la pensée, la pauvreté de l’engagement, la polarisation des idées… Et donc, à première vue, la conservation de l’art dans les musées et la préservation de notre écosystème n’ont rien à voir l’un avec l’autre. C’est comme si l’on comparait l’alimentation vegan et la broderie.

Et pourtant, à bien y regarder, sans que leurs auteurs n’en aient probablement conscience, la lecture de ce geste de saccage d’une œuvre d’art emblématique, par projection de soupe dans un musée mondial, peut être polysémique.

Tout d’abord, ce célèbre Champ de Tournesols peint par Van Gogh est une représentation de la nature, et en particulier d’une plante dont l’agriculture intensive qui a envahi notre planète est précisément très polluante, consommatrice d’eau et de pesticides, et sujette à manipulation génétique. Il ne s’agit pas d’un champ de coquelicots, d’un portrait ou d’une marine. Non, c’est un champ de tournesols, sous le soleil du Midi.

Ensuite le choix de la soupe tomate fait évidemment référence à l’œuvre d’Andy Warhol, à sa boîte de soupe Campbell, à son célèbre ‘quart d’heure de célébrité’ et rejoint la dénonciation par le roi du Pop Art de la réification de l’art, à la suite de Marcel Duchamp. Cet acte s’inscrit donc dans une continuité de l’histoire de l’art avec laquelle il s’articule. Chez Andy Warhol, l’image de l’objet-produit, la boîte de soupe, le visage de Marilyn, la Vache qui rit, dans notre société de consommation, est en lien direct avec sa mort et, par sa multiplication à l’infini, à son exténuation, à l’épuisement de sa valeur. L’hyper consommation est mortifère et conduit à la disparition. On voit donc dans le choix de la boîte de soupe une forme de dénonciation de cette perspective matérialiste et consumériste.

Le « quart d’heure de célébrité », ces deux jeunes femmes se le sont offert en profitant de l’amplification des réseaux sociaux pour donner de la résonance à leur acte, en plein cœur de la National Gallery… L’utilisation du lieu est symbolique et particulièrement illustrative du rôle actuel du musée dans notre société du spectacle : le musée est devenu le lieu des happenings, des mises en scène de l’obscénité de notre temps, et son architecture hypertrophiée, narcissique, cabotine, parfois, le raconte à l’envi.

On voit donc dans cet acte, une sorte d’illustration paradigmatique de notre société : l’homme a fini d’acter son divorce avec la nature et avec l’art. Son rapport au monde, sa façon d’être-au-monde est déréglée et, si l’art est de toute éternité une imitatio naturae, une mimesis, l’art contemporain est désormais à l’image de cette nature malmenée, bafouée, l’art est un produit qui se réifié et qui objective l’homme, jusqu’à même ne plus avoir de substance – je renvoie aux NFT et à la mort de l’art, tout comme Fukuyama avait prédit la fin de l’histoire. (voir à ce sujet l'article que j'ai écrit dans La Libre Belgique "La Mort de l'Art", paru le 1er mars 2022).

Comme je l’ai déjà écrit, c’est à une écologie de l’esprit qu’il faut d’abord appeler l’humanité. Si notre rapport à la nature, et donc conséquemment à l’art, était plus respectueux, l’écologie ne serait pas nécessaire ; selon Hölderlin, l’homme habiterait le monde en poète, et suivant son commentateur, Heidegger, la manière d’habiter le monde poétiquement, d’y exister en contemplatif, fonderait la condition humaine sur un socle plus solide existentiellement.

Si donc l’homme respectait la nature et réalisait cette fameuse poiêsis qui pour les Grecs signifie « création », du verbe poiein (« faire », « créer »), càd une poétique de la vie,  il ne serait plus nécessaire de défendre la nature par une écologie politique. Être écologique, c’est précisément être un terrien, un humain. Et être un artiste aussi. Voilà pourquoi Art et Nature marchent la main dans la main, tout comme Culture et Ecologie.

Notre société matérialiste et technologique est en train de dé-personnifier l’être humain, l’éloignant toujours plus de la nature, et le faisant adhérer à une vision de l’art de plus en plus désincarnée. Remailler le lien à la nature et à l’art, c’est aussi une nouvelle façon d’aimer, l’art, la nature et l’amour étant somme toute une seule et même chose.

Il n’y a pas plus grande artiste que la nature elle-même. La nature artiste montre, par la variété infinie de ses accomplissements, combien l’art et la nature s’inscrivent dans un continuum constructif au cœur duquel l’humain est tout autant acteur que spectateur.

 

Cet article est paru sous forme d'entretien avec Bosco d'Otreppe dans La Libre Belgique le 20 octobre 2022

 

 

mardi 27 avril 2021

Un Musée du Chat ? J'en souris !


Le "Chat -r- latant", ou la mégalomanie à l'oeuvre...


Après un musée Magritte qui aurait gagné à être un musée du Surréalisme, plus riche sémantiquement, moins commercial, et surtout sans conséquence sur la fermeture, depuis plus de dix ans du Musée d'Art Moderne (Musées Royaux des Beaux Arts), voici un Musée du Chat (on cauchemarde !?) sur le Mont des Arts, en lieu et place de ce que pourrait être, dans un "Après Charlie" opportun, un passionnant musée du Dessin de Presse (... dessin de presse dont la tradition est pourtant si solidement et richement ancrée à Bruxelles depuis le XIXème siècle !). 

Les musées monographiques, comme tous les produits, ont un cycle qui les rend rapidement obsolètes. Le public, écœuré ad nauseam des calembours et autres aphorismes abscons de ce félin obèse, ne mettra plus les pieds dans ce  « musée » après une seule et première visite, pour autant qu’il s’y rende.... 

Le Chat de Geluck est à saluer tout au plus au titre de l'illustration d'une réussite phénoménale, à tout prix, soutenue par une savante culture du réseau politique, élevée, elle, en effet, au rang de Beaux Arts !

Quand va-t-on arrêter de promouvoir avec de l’argent public la facilité culturelle et une Belgitude d’aéroport, au profit d’une vraie politique muséale digne de ce nom à Bruxelles ? 

Après Kanal, ressenti comme une gifle dans la capitale des Collectionneurs (on va chercher chez le voisin - Pompidou - de quoi faire un musée, alors que Bruxelles est à la collection, ce que Berlin est à la création, Londres au marché et Paris à la monstration - pour faire court), voilà que l’on retourne une autre gifle en soutenant un produit de marketing « culturel » - le Chat, grand ami des politiques, partisans du nivellement par le bas faute d’habiter aux étages - alors que les musées bruxellois et fédéraux crèvent la bouche ouverte dans la plus totale indifférence et que les jeunes artistes bruxellois croupissent depuis des mois sous le seuil de pauvreté. Saluer par ce musée une "star" mégalomane de l'opportunisme médiatico-politique, alors que les artistes belges, jeunes et moins jeunes, sont toujours plus invisibilisés à Bruxelles, voilà qui relève d'une très grande culpabilité morale... 

L’indigence le dispute ici à l’indigne, la veulerie au mépris, l’incompétence au pathétique. 

Arrêtons de payer nos impôts pour de pareils abus ! Et dire que le « dessinateur » du chat s’appelle « Geluck ». Quel cynisme !

Que l'on mette ce projet Galeries A(n)gora !







mercredi 3 février 2021

KHMAIRES VERTS

Comment la crise du Covid accélère l’emprise d’une écologie politique totalitaire et révolutionnaire sur la démocratie ?


Comment ne pas admettre que le changement que vit l’humanité ces vingt dernières années (voir post précédent) est entrain de connaître une accélération stupéfiante avec les conséquences de la crise sanitaire du Covid 19, non seulement dans ses aspects de contrôles et d’injonctions liberticides, mais dans ses conséquences, tout aussi liberticides, d’une écologie politique de plus en plus totalitaire ?

Au-delà de ce constat, se trouve l’évidence de l’émergence d’une société toujours plus polarisée et conflictuelle dans ses rapports nés d’une nouvelle lutte des genres en lieu et place de l’historique lutte des classes, désormais obsolète ?

Comme si le port du masque obligatoire, et donc le Covid, dont le lien avec l’effondrement climatique reste encore à établir (il y a des gens qui y croient !), comme si donc toutes ces mesures rendaient subitement (et subtilement) possible l’application de la panoplie de mesures coercitives rêvées de longue dates par les khmers (maires aussi) verts récemment élus, et enfin applicable à la faveur de cette docilité soudaine obtenue d’une population volontairement asservie par la peur ? Il y a, c’est vrai, un momentum extraordinaire à profiter de cette période de crise de la liberté, et de renonciation aux principes premiers de la démocratie (telles la liberté de réunion, la liberté de circuler, la liberté de consommer, etc…), pour faire passer en force, dans un rapide tour de passe-passe, l’arsenal des mesures politiques de l’écologie la plus radicale, telle que même le plus vert des ayatollahs verts du « monde d’avant » n’aurait jamais osé rêver.

Cette synchronicité de mesures prises en faveur de la sécurité sanitaire et en même temps (comme dirait Manu !) d’une écologie de la contrainte, présenté comme le salut de l’humanité, saute en effet aux yeux, quitte à laisser au vestiaire de la démocratie les principes les plus fondateurs de la démocratie.

Cela se ressent principalement, mais pas seulement, dans la mobilité en zone urbaine qui traduit sans plus la moindre dissimulation l’autophobie, cette haine viscérale pour la voiture, ce support emblématique, ce prolongement naturel, ce symbole même de la virilité patriarcale honnie. Car cette haine de l’automobile ne s’attache pas uniquement à la pollution : elle se relie également à une réfutation de tout ce qui se rattache à l’industrie, surtout pétrolière, au béton, à l’acier, et par conséquence, aux Trente glorieuses, au progrès, au capitalisme, et de près ou de loin, tout ce qui se rattache au père, à la famille, aux ancêtres et aux frontières.

 Voyons ainsi, conséquemment, et en ville essentiellement, ce nouveau culte pour le vélo (le plus souvent électrique et donc polluant, désormais), devenu la version augmentée du corps de l’écolo urbain dans ses nécessités de se déplacer, et auquel il est bien question aujourd’hui de réserver la plus large portion possible de voie circulable, au détriment assumé de l’automobile.

Comme si le vélo était devenu subitement la seule échappatoire possible aux problèmes de mobilité et donc de pollution des centres urbains, ce tout-au-vélo électrique semble oublier la fabrication et le recyclage des batteries, en générant des situations rendant sa pratique totalement inapplicable, et pour cause…

Force est de constater que ces mesures écolo-contraignantes, totalement liberticides, sont souvent élaborées en chambre par des poignées de célibataires urbains de moins de quarante ans (ou un peu plus, lorsqu’ils pratiquent le jeunisme qui les caractérise : «le vélo cela maintient en forme ! »), c’est-à-dire des personnes ne rencontrant aucun des problèmes liés à la vieillesse, à la parentalité nombreuse, à la dépendance physique, au surpoids, à la maladie, au handicap… ou à l’isolement.

Tout est en effet dessiné par et pour des urbains vivant au centre des villes. Ainsi, les personnes venant de loin, ces navetteurs tant conspués pour leur incapacité à payer leurs impôts dans la ville ou la région où ils travaillent le jour et qu’ils quittent le soir, et qui apparaissent comme des parasites de la ville, bien souvent pénalisés par la distance, paupérisés par une politique du logement les condamnant à habiter loin, en périphérie ou en province, ceux-là sont priés de venir à vélo, ou d’en trouver un en location, une fois arrivés à la gare. On imagine sans mal le problème, lorsque les transports en commun sont en grève ou parfaitement insuffisants, de se présenter aux portes de la ville ou même d’y accéder en plein centre, pour ensuite prendre un vélo (électrique) de location, par tous les temps …

Le principe sacro-saint de la multimodalité est fondé sur la souplesse et sur la possibilité d’alterner tous les moyens de transports sans pénaliser les uns au profit d’un autre… Or, c’est clairement le cas dans nos villes, et en particulier à Bruxelles, où l’objectif de cette politique écolo-liberticide est de précisément décourager l’automobiliste et de le planter sur une selle.

Mais d’où souffle donc ce vent de l’écologie radicale qui, à bien y regarder, se trouve très loin des préoccupations liées à l’environnement ? Qui sont les nouveaux censeurs du pur et de l’impur, qui endossent le costume de Robespierre contemporains, qui édictent leurs lois du haut de leur olympe de certitudes ? De quoi se nourrit ce sans-culottisme moderne qui, sous le couvert de défendre le bien commun, impose sa vision du monde fondé sur une prétendue souveraineté populaire ?

Ces Catalina aux petits pieds, après la chute du communisme dont ils sont tous plus ou moins nostalgiques, continuent de faire vivre cette idée, issue de la Révolution française, de la souveraineté du peuple en vue de la justice.

Dans cette perspective, la démocratie doit être la plus directe possible avec un contrôle étroit des représentants, tout en admettant leur nécessité. Elle se traduit aussi sur le plan économique par l’impératif de subordonner la sphère économique aux principes politiques. Si (et puisque, dans leur esprit) l’économie de marché et de libre-échange (confondue avec le néo-libéralisme) ne peut plus être la condition d’émergence d’une société juste, conditionnant pourtant autrefois l’amélioration du niveau de vie, du progrès et du confort des masses laborieuses désormais asservies, il convient de lui couper les ailes en touchant directement se fondements : retour de l’Etat interventionniste, suprématie de la loi sur le contrat, contrainte dans la libre circulation des biens et des personnes (la mobilité dite « douce »), régimes de taxation élevés, renforcement du pouvoir des administrations, légitimation des certifications, augmentation des contrôles, notamment sanitaires et environnementaux, etc… Voilà les principaux ingrédients du bouillon (de la bouillie ?) de l’écologie politique.

L’opposition des deux principes qui caractérisent l’antinomie de la gauche et de la droite, à savoir le gouvernement de l’éthique (gauche) contre celui de la responsabilité (droite), cette opposition doit être réduite, telle une fracture par un plâtre, au profit de la seule éthique. On l’a vu dans la gestion de la crise sanitaire : l’éthique a dominé la responsabilité. Tant pis pour les lourds effets induits par la gestion de la pandémie au titre économique (et donc social), seul compte le principe de « une vie = une vie » et la sécurité sanitaire qui culmine au sommet des préoccupations primordiales, primant toutes les autres. La responsabilité des mesures prises ne porte que sur les effets directs liés à la santé. Pour le reste, on avisera… en toute irresponsabilité, appelant.

L’écologie politique doctrinaire et dogmatique a pour elle d’être portée par le mouvement de l’Histoire. Elle répond au plus grand danger menaçant le Vivant, à savoir la menace écologique, l’effondrement de la biodiversité et le dérèglement climatique. Toute mesure de contrainte écologique totalitaire trouve sa justification sur base de ce péril immense. Partant, tout amalgame avec la crise du COVID est désormais possible. Au nom du bien commun, la sécurité sanitaire a rejoint la sécurité environnementale dans un chorus anti libéral qui renforce un peu plus l’aérodynamisme du discours de l’écologie politique, au sens large…

Les mesures que défendent ces écologistes, et que l’on retrouve directement empruntées à la Convention citoyenne pour le climat, relèvent d’une grande simplicité. Les principes sont énoncés sans détours, il faut entrer en déflation, ralentir la course effrénée du monde, restreindre les déplacements, diminuer les émissions de gaz à effets de serre, placer des éoliennes, fermer les centrales nucléaires, isoler les maisons, trier les ordures, recycler / réparer et non jeter, …

Ces mesures sont souvent de bon aloi, compte tenu de l’urgence climatique. Mais elles dégoulinent de morale progressiste pétrie d’amour de la planète, d’amour des animaux, d’amour de l’humanité…

Au nom de cette morale, il faut combattre le déchet sous toute forme : nucléaire, ménager, chimique, combustible (plus de feu de bois à Paris dans les cheminées des intérieurs bourgeois), ou automobiles. Les déchets sont non seulement sales, mais surtout ils sont impurs ! Et peu importe si les éoliennes polluent visuellement le paysage : l’utile prime toujours sur le beau (notamment sur l’élégance, vu l’attirail de cyclistes ou leurs sportswears de tous les jours). L’utile et surtout l’efficace prime aussi sur la liberté, qui d’après la Convention citoyenne sur le climat « ne saurait compromettre la préservation de l’environnement ». Sous le dogme, la laideur s’étale et la tyrannie pointe.

Le beau n’est donc pas pour eux une valeur platonicienne, la liberté n’est donc pas une valeur démocratique intangible : l’un et l’autre s’effacent devant le dogme écologique. Mais au-delà de l’utile, qui prime sur la beauté, un ultime combat porte sur le passé, au sens générique.

Pour les écolo-totalitaires, le passé ne pourrait en aucun cas être un frein au développement futuriste de la ville ou de nos campagnes. « Du passé, faisons table rase », célèbre antienne révolutionnaire, leur convient à merveille. Une posture révolutionnaire, mais non violente, qui n’envisage pas une lutte armée, mais une pratique du déni, de l’effacement, du remplacement. Pas question qu’une tradition ne vienne entraver la marche non violente de la révolution verte : voyons par exemple Bordeaux dont le maire récemment élu (grâce à une abstention massive, il l’oublie !) a décidé qu’il n’y aurait pas de sapin de Noël dans la ville, cette année… Qu’est-ce que ce culte autour d’un arbre mort, alors que la déforestation mondiale est en cours ? Paris piétonnisé, vélocipédisé, végétalisé, la Bretagne ponctuée d’éoliennes, les toits des maisons tapissés de panneaux photovoltaïques… surtout, que rien qui ressemble au passé, au paysage coutumier, aux mœurs anciennes, à la culture religieuse ou au patrimoine architectural historique ne vienne faire dévier la marche du monde vers le paradis vert qu’ils nous promettent ! Et ce Tour de France, comble du beaufrérisme absolu, quelle gabegie dégueulasse de ploucs, avec ces types hyperdopés donnés en spectacle aux chômeurs !

Tabula rasa, modification radicale, suppression, remplacement, … tout fait l’objet d’une main mise, d’une main basse sur le bien commun qu’ils s’approprient pour mieux le dénier, le dénigrer, le contester, le laminer, sur l’autel de leur nouvelle religion néo-antique de la Nature. Celle-ci a ressuscité les préceptes et renoué avec les moyens du Culte de la Raison et de l’Etre suprême de la Révolution française, organisant ses fêtes civiques (les fameuses ‘parades urbaines’ notamment ‘roller parades’ et autres dimanches sans voitures), assermentant de forces les tenants de la politique d’avant dans de toxiques alliances politiques, et pourchassant les hérétiques à coups d’amendes, d’édits communaux, de décrets subits, de modification des voies de circulation, sans la moindre concertation, etc…

La fermeture du Bois de la Cambre à Bruxelles, le péage urbain projeté et l’application totalitaire de Bruxelles à 30km/h en sont les meilleurs exemples…

De préoccupation démocratique, en revanche, nada, alors même qu’ils en truffent leur discours pour apporter une légitimité à leurs actions.

Avec donc la répudiation du passé et des traditions, c’est tout ce qui fait culture qui peut passer à la trappe. Et c’est là que le nouvel ordre écologique devient extrêmement inquiétant.

Liberticide, totalitaire et antidémocratique, l’écologie politique est une arme de liquidation massive de l’ancien monde, et donc de sa culture, cette culture qui, comme le disait Malraux « fait civilisation ».

Au-delà donc d’une croisade anti-patriarcale, dont la haine de la voiture est la plus parfaite des incarnations, c’est tout ce fameux « monde d’avant » que veut voir disparaître l’écologie politique : contester l’autorité et ceux qui en sont dépositaires (policiers, maîtres d’école, etc…), abattre les hiérarchies, les genres, au profit d’une indifférenciation totale entre le maître et l’élève, la fille et le garçon, le citoyen et le sans-papiers, un opéra et un bal musette… Les concepts d’esthétique, de patrimoine, de passé, de nation, de citoyenneté, de république et même de laïcité peuvent être dissouts dans la chlorophylle extraite sous la presse de l’écologie politique.

Derrière ce culte du pur et dur engagement zéro déchet, se trouve donc embusqué, en réalité, une haine du patriarcat, un féminisme guerrier, souvent avant-postes, pour les plus radicaux, de l’antiracisme primaire racialiste, où l’universel fait place aux identité revanchardes, déboulonnant les statues et culpabilisant le blanc dans son soi-disant privilège.

Dénonçant les catastrophes écologiques en cours, et les dommages consécutifs de la pollution, à juste titre !, ils appliquent en réalité des solutions draconiennes et liberticides, confondant l’importance du problème avec l’excès de ses solutions, et visant plus à modifier le monde, ses structures et ses fondements, qu’à sauver la planète (qui s’en fout !) et l’humanité. Or la vraie écologie ne s’imposera pas dans l’orthopraxie (l’agir droit) du pur et du zéro déchet, mais dans l’orthodoxie (le penser droit) d’une humanité consciente de sa fragilité et apprenant à habiter le monde en poète, dans une véritable écologie de l’esprit.

Ce simplisme totalitaire écologiste consiste à faire le bonheur des gens malgré eux, dans une négation des libertés fondamentales, de l’esthétique et du passé, au profit d’un changement radical de nos habitudes et de nos identités. Suivant la vieille antienne révolutionnaire consistant à faire le bien du peuple en le corsetant, ces Robespierre aux pieds verts n'ont aucun problème à arrêter des mesures tyranniques suivant le principe qu'au-dessus des considérations de liberté, de tolérance, d'esthétique ou de patrimoine, se trouve la sacro-sainte lutte pour le climat (dont ils se servent en fait comme alibi).

"Point de liberté pour les ennemis de la liberté" s'exclamait Saint Just. Cette politique liberticide et prétendument écologique se trouve en fait être le Cheval de Troies d'une vision crypto-communiste du monde-d'après. Toutes les règles absurdes qui répondent à l'agenda vert anti-progrès, régressif, liberticide, anti-patriarcal et décroissant de l'écologie politique est une version athée de la culpabilité judéo-chrétienne de petits bourgeois gâtés. Nous devons payer pour notre consommation libérale car elle est injuste. 

 

jeudi 16 avril 2020

Pensées confinées: les 20 dernières années dans le rétroviseur...

Jeter le bébé avec l’(e) (Vers)eau du bain… ?

La crise du Coronavirus n’est-elle pas l’occasion rêvée de repenser lentement le monde ?

 

Opéra catastrophe

Le confinement est une période de flottement, de "non-temps", idéale pour se reposer et jeter un coup d'oeil dans le retroviseur de l'histoire du monde, et en particulier sur les deux dernières décennies, qui furent aussi celles du début du 21 siècle.
Difficile, aujourd’hui, en 2020, de ne pas considérer ces vingt dernières années, comme celles des plus grands changements qu’ait jamais connu l’humanité, sur tous les plans et dans toutes les catégories de pensée et d’action, dans une sorte d'immense accélération.

La destruction en 2001 des Twin Towers en fut le signal déclencheur, telle l’ouverture tragique d’un opéra catastrophe, avec pour corollaire et suites la remise en cause active du modèle capitaliste et de l’impérialisme américain, sur fond d’intégrisme musulman, créant l’irruption d’un terrorisme islamiste aveugle, partout dans le monde.

Cette vague de déstabilisation a ébranlé toute la planète, avec une profonde déstabilisation du Moyen Orient, la poursuite des guerres pétro-politiques dans le Golfe entamées dans les années 90, la guerre en Syrie contre un dictateur aveugle et sanglant, l’émergence de Daesh pris de rêves de califat, la chute des régimes autocratiques nord africains et les Printemps arabes consécutifs, morts-nés au profit d’une radicalisation politico-religieuse islamiste.

Les crises migratoires ont encore davantage créé le sentiment de déstabilisation, en provenance des zones de guerre moyennes orientales ou de l’Afrique subsaharienne, annonçant de bien pires migrations à venir, génératrices de drames humains dans le bassin méditerranéen, que ni le barrage turc acheté à prix d’or et qui cède aujourd’hui, ni les frontières militaro-sécuritaires ne pourront bientôt plus contenir.

Les relations entre la Chine et les Etats Unis, se sont largement détériorées, surtout depuis l’avènement au pouvoir de Donald Trump, transformant les échanges économiques entre les deux premières puissances économiques du monde en gigantesque ring de boxe, tandis que la Russie joue le rôle d’arbitre vendu, entre la Syrie et la coalition occidentale, et que le monde assiste, impuissant, à la dérive autoritaire fanatique de la Turquie définitivement laissée à la porte de l'Europe. Israël s’enferre dans sa politique coloniale des Territoires palestiniens, tandis que face à cet immense shaker détonant, l’ONU semble être le balcon feutré auquel s’accrochent, en plein désespoir, des diplomates cravatés par leurs gouvernements respectifs.

Un monde nauséabond, sous l’œil omniscient d’Internet

A ces bouleversements de type politico-religieux s’est ajouté l’œil omniscient de l’Internet qui rend compte en temps réel de la déréliction du modèle d’avant, charriant dans son égout les pires boues de l’humanité, rendant plus nauséabonde encore l’actualité, à coup de fake news, de posts vengeurs, voyeurs ou vomitifs. En parallèle, apparaît salvatrice la posture et le statut des lanceurs d’alerte, choisissant Internet pour faire savoir au monde entier ce que certains voudraient cacher…

Dans ce contexte, la dérégulation complète du climat, parfaitement perceptible sous toutes les latitudes, met sous les yeux médusés de l’humanité les conséquences ravageuses d’un mode de consommation irresponsable et tout-puissant, mettant en cause la survie même de l'espère humaine sur terre, à la suite d'une chute brutale de la diversité . Ce changement climatique a poussé les étudiants de tous les horizons occidentaux dans les rues, contestant les politiques publiques attentistes et inefficaces, prenant le pouvoir en abandonnant l’école, et se choisissant pour porte-parole une adolescente aux allures christiques.

La crise financière de 2008 a démasqué le capitalisme le plus débridé, montrant le faciès hideux de ses pratiques les plus immorales, financiarisant des dettes et combinant en toute impunité l’épargne en de complexes produits financiers toxiques, entraînant dans une chute vertigineuse l’économie mondiale, obligeant les états et les régulateurs centraux à voler au secours des banques par l'injection massive de liquidités, fragilisant, ce faisant, les populations les plus précarisées par un taux d’endettement abyssal et une situation macro-économique vacillante.

L’Europe, qui fut depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale le plus grand idéal politique jamais promu par des ennemis autrefois irréductibles, a produit, à l’échelle continentale, la plus longue ère de paix qu’ait jamais connu l’humanité sur une aussi grande partie du monde. Ces dernières décennies, l’Europe a hélas fini de démontrer son inefficacité à répondre aux vrais enjeux de société, aux réels problèmes de ses citoyens, en raison de son indéfinition essentiellement culturelle, de son mode de fonctionnement intrinsèque à l’unanimité et de sa technocratie aussi coûteuse qu’inopérante. Cette critique conduit désormais à une sortie en cascade, attendue ou avérée, de tous les eurosceptiques, la Grande Bretagne en tête.

Le Pays des Droits de l’Homme est devenu le théâtre de la contestation, sous toutes ses facettes, « gillet-jaunisant » les villes et les campagnes, clivant la société en factions opposées, entraînant destructions, grèves et prises d’otages sur tous les fronts de l’action politique et syndicale. Bloquant le pays économiquement et l’emmenant au bord de la rupture par le tenue de grèves interminables, le peuple 'cette partie de la société sur laquelle s'exerce le pouvoir' dit Michel Onfray, tente de résister aux réformes, telle celle des retraites, menaçant les acquis des Trente Glorieuses en raison d’un réalisme politique lié aux incertitudes économiques et à l’inversement de la pyramide démographique. 

Les gouvernements et parlements des démocraties occidentales moribondes sont obèses de créatures politiques pléthoriques, plus inquiètes de leur réélection que de leur rôle premier de représentation, produisant une inflation accélérée de textes législatifs, notamment dans le domaine de l’éthique, autour de la mort, de la procréation, du mariage pour tous, ou dans les domaines du progrès social, autour des retraites, des congés parentaux après la perte d’un enfant,… autant de débats opposant les citoyens, favorisant les oppositions et fertilisant les luttes haineuses.

Les grands systèmes numériques tenus par les GAFA’s américains monopolistiques (reléguant l’Europe à la traîne de son exploitation) moissonnent massivement nos données personnelles, ce nouvel « or noir » de l’économie, attendant l’instant proche où elles seront disponibles et indispensables à un contrôle total de nos libertés individuelles, dans un croisement programmé de l’infotech (la 5G !) et du biotech, détruisant par la même occasion le tissu social et associatif, le commerce de proximité, la poste, l’intimité et la saveur relationnelle, les métiers de la pensée et de la création (libraires, écrivains, artistes, etc…), virtualisant tout, sans exception, au cœur de data centers déshumanisés.

La mort de l’esprit de nuance

Certains médias poursuivent leur travail de sape par une désinformation rampante, sous le contrôle de grands groupes détenus par des fortunes personnelles assoiffées de reconnaissance et de pouvoir. Dans ce contexte, sous l’influence des réseaux, les masses adhèrent à des idées simplistes et répondent aux populismes de tout poil, lesquels écrasent les démocraties sous le talon des instincts primaires de racisme et de communautarisme, conduisant la société en rang serré vers de nouveaux univers concentrationnaires, numériques notamment.

Cette désinformation massive encouragée par les médias dits « sociaux » polarise la société en ‘pour’ et ‘contre’, sans la moindre finesse, désignant implicitement et corrélativement sa véritable victime : l’esprit de nuance. Il est ainsi déplorable qu’à proportion de la toute-puissance de cette désinformation se trouve inversement dérisoire le rôle de l’intellectuel, condamné au silence imposé au grincheux et au moralisateur, dès qu’il tente de raffiner le jugement, de contextualiser les faits, de nuancer les postures, de les relier à l’histoire, à la philosophie ou à l’art. Disqualifiant la pensée, notre monde de médias a choisi de préférer la satisfaction du lynchage immédiat à toute forme de recul moral ou spirituel qui permettrait de comprendre avant de juger.

Dans cette entreprise d’aliénation, les religions – et singulièrement l’Islam  - accentuent leurs emprises sur les esprits les plus faibles et déculturés par la possibilité de mieux contenir les individualités et d’en radicaliser le comportement, par une pratique répondant de l’orthopraxie pure, notamment par le port de signes distinctifs vestimentaires – exclusivement féminins - discriminants et archaïques, reléguant tout idéal d’égalité et de laïcité républicaine au rang des vieilles valeurs, aujourd’hui suspectes d’islamophobie.

La lutte intersectionnelle, un danger de totalitarisme ?

La faillite du communisme dans les années 90, laissant vainqueur un néo-capitalisme mondialisé, plus immoral que jamais, a nécessité que soit modifiée la lutte des classes en lutte de genres, au sens large : les damnés de la terre d’hier, le prolétariat, les ouvriers dépossédés de l’outil de production au profit du capital, ont été interchangés au profit de tous les discriminés d’aujourd’hui, les nouveaux prolétaires, les proscrits, les sans-places : les musulmans, les noirs, les femmes, les homosexuels et toute la mouvance lgbt, les sdf, les migrants, les minorités de toutes natures, les zadistes, les marcheurs pour le climat,  etc... Nous sommes arrivés au point culminant de la démocratie dictée par les lobbies de toute espèce. Seule cette démocratie-là a encore une place dans les vrais débats de société… même si nous sommes les premiers à considérer qu'ils y ont leur place !

D’une lutte des classes horizontale découlant du matérialisme dialectique historique marxiste, distinguant ceux d’en-haut de ceux d’en-bas, cette nouvelle lutte des genres est désormais verticale, divisant la société par colonnes, par segments, sans considération de milieu social ou d’horizon économique. Cette lutte d’un type nouveau embras(s)e toute la société : marquée au sceau de la stigmatisation expéditive, elle trouve dans la lutte antidiscriminatoire, intersectionnelle, une forme de prêt-à-penser confinant à un Salut moderne, menacée de dérive totalitaire, prononçant l’excommunication à l’envi et frappant d’anathème toute forme d’opposition, convaincue d’être du bon côté, créant parfois, dans le bain unanime de la bien-pensance, de grandes injustices, et générant des schismes douloureux au sein de la société (pour mémoire, la haine qui a divisé les pro ou contra "mariage pour tous" ou la GPA).

 « Jeter le bébé avec l’eau du bain »

Dans cet ‘unanimisme’ inflexible, s’expriment les tenants les plus dogmatiques de chaque pensée, discréditant tout discours divergent par un procès d’appartenance : si vous réclamez un peu de nuance sur le climat, on vous taxera de capitaliste pollueur inconscient, si vous jugez nécessaire un débat sur le port du voile et sur la possible intégration islamique au modèle occidental de laïcité, on vous collera l’étiquette d’islamophobe, si vous demandez une légère prise de distance par rapport à la délation corolaire aux mouvements #balance ton porc ou #metoo, on vous mettra en accusation pour misogynie et machisme, faisant le procès de vos arrière-pensées, et l’on prétendra que c’est votre crainte de voir vaciller le patriarcat blanc industriel chrétien qui génère en vous toutes ces interrogations.

Réhabilitons le masculin par un féminisme nouveau, non celui de nos mères et de nos grand-mères qui réclamaient l’égalité… Car on ne peut que perdre au jeu de l’égalité lorsque les règles du jeux sont dictées par l’autre… Le féminisme historique a tout perdu sur ce terrain. Remettre le féminisme sur les rails des préoccupations de la société contemporaine, c’est avant tout définir et redéfinir la place de l’homme, en regard de celle de la femme, et inversement ! Un féminisme qui serait d’abord celui de l’affirmation des différences entre les genres, pour mieux les réduire. Un féminisme qui verrait la complémentarité avant l’égalité entre les sexes, rééduquant l'homme, dès la petite enfance, dans son rapport à la femme. Un féminisme qui requalifierait et recalculerait le statut de la maternité en fonction de son rôle et de son apport à la société permettrait à l'enfantement de ne plus se faire sur le dos de l'épanouissement féminin, grâce à des structures et des moyens adaptés. L'autel sacrificiel sur lequel se sentent, souvent à raison, pour ne pas dire toujours, immolées les mères de nos société contemporaines est également celui du couple et de la famille… Le temps est venu de trouver une véritable réponse sociétale à cette question de l'enfantement chez la femme.

Des changements, et un nécessaire arrêt. Le Coronavirus en frein providentiel ? La fondamentale question de l’inutilité.

Bref, on le voit, ces changements se sont accélérés avec une vitesse sidérante, produisant en moins de vingt ans une société radicalement différente de celle qui avait vu s’achever le 20ème siècle.

Dans cet immense bouleversement, où chercher les réponses face aux milliers d’hypothèques et de questions qui pèsent sur l’avenir ? Notre recours ultime serait-il de nous tourner vers les astrologues qui nous disent que, suivant les prédictions aztèques du 15è siècle, nous sommes entrés dans l’Ere du Verseau depuis 2012 ? Cette ère suit celle des Poissons. Avec le Verseau tout verse, tout se renverse, tout coule, tout croule, c’est une ère liquide, aqueuse, éminemment l'ère du changement.

Si donc cette ère a bel et bien débuté, nous ne pouvons pas douter un instant de sa réalité ! En effet, tout bouge, tout change, tout mute, tout se modifie…

Mais si cette vingtaine d’années écoulée avait commencé par l’ouverture tragique du spectacle désolant de l’effondrement des Twin Towers, métaphore prophétique de l’écroulement du monde d’avant, voici que l’irruption foudroyante du Coronavirus semble sonner comme la clôture effroyable de cet opéra tragique, condamnant l’humanité à un confinement généralisé, renvoyant les plus positivistes à des peurs moyenâgeuses, réorganisant les perspectives et les priorités suivant une hiérarchie de valeurs dominée par le prix de la vie individuelle, et condamnant les économies du monde entier à la récession, dans un mouvement collectif, quasi hypnotique, d'immolation des libertés individuelles.

Ce virus inconnu semble donc accompagner et clore cette période de mutation profonde des vingt dernières années, pour ouvrir sur une voie nouvelle, un monde d’après.

Cette crise sanitaire nous appelle à l’humilité, et nous confronte aux limites de notre hubris, de notre orgueil démesuré qui agite le monde depuis des décennies, précipitant l’humanité dans une fuite accélérée vers le néant matérialiste et technologique.

Elle nous renvoie aux valeurs premières de nos vies et de nos familiales intimités ; nous sommes désormais assignés à résidence, cherchant à trouver dans le singulier colloque intérieur de nos habitations la source de bonheurs simples et d’occupations commensales… Notre projet de vie redevient subitement domestique, familial et statique, raisonnable et mesuré, artistique, gratuit et contemplatif, prévoyant et solidaire.

Voilà qui semble ponctuer cette ère de révolutions par une profonde remise en question que nous impose cette véritable pause ontologique. Ce moment de réflexion, rigoureux comme une cure, nous ne nous invite-t-il pas à raisonner nos vies et nos choix, en vue d’un changement né de ces douloureuses expériences ?

En définitive, ce que cette crise sanitaire convoque, c’est la question fondamentale de l’inutilité… Plus encore que la consommation obscène et la gabegie de biens et de services inutiles, rendus accessibles à des proportions exponentielles par Internet, se pose la question de la production de ces 'consommables', elle-même.
A la suite du philosophe et sociologue français Bruno Latour, posons-nous la question de savoir si le monde ne pourrait pas, en définitive, se passer de ce qu’il produit dans une débauche de moyens mondialisés, à grands renforts de création de besoins, de publicité et de laideur, passant ainsi les plats d’un capitalisme débridé, et exploitant toujours plus, telle une rente post-coloniale sans limite, une population précaire à l’autre bout du monde, sous-payant ces nouveaux esclaves, exploitant leur super-dépendance, et recyclant, sous couvert de développement, la misère en main d’œuvre ?

Ce que ce coronavirus montre, c’est notre totale dépendance, désormais, à ces moyens et lieux de production délocalisés et mondialisés, lorsqu’un phénomène systémique de frein brutal vient en bloquer les rouages. En quelques semaines, on assiste à un coma organisé et à un délitement subi(t) mais sans doute durable des chaînes d'approvisionnement.

La fragmentation de la mondialisation qu'immanquablement cette crise provoquera, constitue une occasion inespérée de reprendre les commandes.

"Arrêtons de dénoncer, commençons à énoncer", dit Edgard Morin:

- relocaliser les productions vitales de notre économie,
- réguler les échanges et les investissements par des organismes et des mécanismes publics de contrôles et de prévention,
- prélever fiscalement les géants de l’Internet, échappant jusqu'ici à toute redistribution car étant, par définition, non localisés,
- taxer lourdement l’inutilité, sous toutes formes, dont le trafic aérien low cost,
- encourager l’économie durable, solidaire, locale et juste, et dans les pays émergents,
- pratiquer une tarification de la main d’œuvre qui soit digne,
- relancer, dès les classes maternelles et jusqu’à la fin du cursus scolaire l’éducation artistique, civique et naturelle,
- réinvestir les campagnes et délaisser les villes,
- revaloriser l’artisanat et les métiers d’art – tout ce qui fait travailler la main,
- instaurer un service civil obligatoire, à destination de tous les jeunes, etc…

La liste est longue des nouveaux chantiers à ouvrir, la carrière de notre "jour d’après" étant longue et fertile !

Notre intime conviction serait cependant, et en tous cas, de ne pas nous précipiter. Il ne faudrait pas en effet jeter le bébé avec l’eau du bain, dans cette grande vague projetée par le Verseau sur le monde !

Surtout, évitons de rendre permanentes et communément admises les mesures temporaires, notamment liberticides et anti-démocratiques, que nous impose ce virus !

Le temps long, l’esprit de nuance et les vertus de l’enfance

 

Privilégions le temps long, alors qu’il semble s’accélérer toujours plus… Cette crise sanitaire nous y invite, par son obligatoire changement de rapport à la temporalité, alors que des semaines de confinement nous placent dans une durée infinie, sans repères…

Pour y parvenir, abandonnons le matérialisme historique au profit d’une nouvelle façon d’être-au-monde et d’une véritable écologie de l’esprit. Favorisons la finesse d’analyse et le retour de l’esprit de nuance, interrogeons nos bonnes intentions et nos mauvaises habitudes, vivons nos vies à la lumière (ou à l’ombre projetée) de la mort et de la maladie, donnons la parole à celles et ceux auxquelles elle a été trop longtemps confisquée, principalement les intellectuels, les vrais artistes, les spirituels et les sensibles. Laissons les colères de côté, abandonnons les luttes violentes, les posture stigmatisantes et les marches bruyantes.

Voyons comment créer l’harmonie entre les genres, entre les êtres, entre les pensées, recentrant le débat sur le modèle sociétal qui a, depuis le début de l’humanité, fondé son progrès et garanti sa civilisation : la famille. Oui, la famille, au sens large et symbolique même, sans atteindre immédiatement le Point Godwin, par la fallacieuse et fachiste apostrophe ‘Travail-Famille-Patrie’ qui a nuit énormément à cette valeur première.

Habiter le monde en poète, vivre en artiste, et entrer dans la déflation lente, avec la conviction que, si le changement est certes nécessaire en bien des points de l’écheveau social, économique, politique, spirituel et moral, l’Humanité a mis des centaines de milliers d’années à se construire telle qu’en elle-même… Peut-être convient-il donc de bien réfléchir aux conséquences de nos aspirations révolutionnaires… et en particulier de nos modes de production et de consommation.

Restons les dignes héritiers des Enfants de l’Humanité… C’est d’ailleurs de l’enfance qui viennent les plus élémentaires leçons de changement. Chez l'Enfant, sa spiritualité pure, son goût simple, sa joie naturelle, son équilibre premier, son imagination sans borne et sa douce naïveté, ... sont autant de sources d’inspiration utiles à la conception d’un nouveau monde.

Car il ne faudrait donc pas qu’en quelques décennies, dans une forme d’accélération mortifère, l’Humanité cherche à se sauver au détriment de ce qui fait l'Humanité ! Ce virus n’en viendra pas à bout, mais il donne l’occasion de prendre une leçon, de repenser le monde, en faveur d'une plus grande écologie de l'esprit et du coeur.