lundi 13 juin 2011

Venise, Vestale ou putain de l'art contemporain ?

Je me suis rendu cette année à la Biennale de Venise et à sa grande ouverture. Ouverture en fanfare et trompettes, dans tous les pavillons, les 1er et 2 juin derniers, soit au coeur même du parc de la Biennale, accueillant les pavillons nationaux qui ont eu l'heur de pouvoir y être construits au cours du siècle dernier, soit, au détour des canaux et des calle, dans de somptueux palais loués ou empruntés par tel pays ou tel ensemble de pays qui sont dans le off géographique, disséminés de-ci de-là dans Venise.

Par un temps relativement lourd, j'ai donc rejoint la cohorte des curieux, des originaux, des amateurs d'art, des "curateurs" (affreux anglicisme relevant plus d'un vocabulaire d'égoutier que de celui du monde de l'art...), conservateurs de musées et autres collectionneurs qui processionnent en masse vers ce graal, ce Cannes, ce Memphis, cette Rome de l'art contemporain.

Aller à la Biennale devrait être un devoir moral absolu, pour tout être épris d'art et de culture, mais surtout pour toute personne désireuse de mieux comprendre le monde dans lequel il évolue. Un devoir identique à celui dont tout bon musulman s'acquitte en se rendant au moins une fois dans sa vie à la Mecque... Il est bon de circonvoluer autour de ces pavillons, érigés comme autant de Ka'aba vides parce que habitées par la transcendance, en écoutant, ou en récitant comme les autres adorateurs de l'art contemporain, si telle en est votre envie, les mantras et imprécations habituelles de ces thuriféraires de cette nouvelle religion.

Dans une foule dense, odorante et particulièrement surexcitée, j'ai pris le vaporetto, collant et transpirant de passion, pour me rendre d'abord dans les Giardini, ce merveilleux et seul parc public de Venise, planté d'immenses platanes. On sourit d'ailleurs à l'idée que les seules oeuvres d'art véritablement pérennes de cette Biennale, qui en est à sa cinquante quatrième édition, sont précisément ces géants végétaux, qui offrent généreusement leur ombre, dans toute leur majesté, aux colonnes de fourmis humaines sillonnant ce parc, en route vers leurs alvéoles nationales: les pavillons.


Le Pavillon Belge à la Biennale de Venise fait partie des premiers pavillons permanents. Le pavillon a été réalisé par l'architecte  Leon Sneyers en  1907 et complètement restauré par Virgilio Vallot en 1948.
Il est, il faut le dire, d'une remarquable sobriété.


Le Pavillon belge accueille cette année Angel Vergara; Luc Tuymans est le commissaire de cette installation. Si l'on peut saluer, en ces temps de précarité de l'idée même de Belgique, le choix posé par la Communauté française d'un commissaire flamand pour présenter un artiste francophone, on s'interroge immanquablement sur le rôle réellement joué par Luc Tuymans, dans la mise en espace et en valeur de l'oeuvre d'Angel Vergara au sein du pavillon lui-même.

On peut également se poser la question du rôle effectivement endossé par cette multitude de personnes dont les noms figurent au long générique imprimé au verso du journal édité à l'occasion, intitulé "Feuilleton". Ce générique présente l'équipe du pavillon, ainsi qu'une liste de personnes remerciées on ne sait à quel titre, parmi lesquelles figurent les deux ministres de tutelle... dont c'est précisément l'initiative ? Si l'on ne devinait pas qu'il s'agit en fait d'une liste dressée des personnes, célèbres ou non, qui cautionnent le choix de l'artiste par le Ministère de la Communauté française, on pourrait imaginer tout autre chose, comme par exemple la liste des adhérents à un club de pétanque ou celle de dangereux activistes réactionnaires, ou encore celle d'une bande d'amis de laquelle il faut être afin de pouvoir prétendre défendre, en toute légitimité, une vision de l'art actuel et s'en prévaloir, par narcissisme.
Soit.

Le pavillon belge a été décrété par la presse comme "un des meilleurs pavillons de la 54ème édition". Heureusement, pourrait-on dire ! Il est un des rares, il est vrai, à encore présenter une forme d'expression artistique relevant de la peinture. C'est même incroyablement audacieux, en ces temps de refus et même de dénonciation des moyens traditionnels de l'art ! Selon les spécialistes, la peinture est morte. Tout a été fait, dit, redit. Donc, comme le disait Claude Lorent, journaliste de La Libre Belgique: "peindre aujourd'hui, après un siècle de modernité et d'expérimentation, est un terrible défi qui exige audace et courage". 

Il reste que la peinture d'Angel Vergara est d'une consternante pauvreté. Empruntons à Luc Tuymans sa description du "travail" de Vergara: "L'exposition qu'Angel a imaginée est principalement une réflexion basée sur le thème des sept péchés capitaux, comme par exemple, l'envie, la colère, la paresse intellectuelle (sic !). Utiliser ce thème comme leitmotiv appliqué à la société actuelle, c'est véritablement inoculer une sorte de virus dans l'éventail des images que l'actualité nous livre dans toute leur trivialité. Dans le cas de Vergara, les images qu'il s'approprie sont montées à une cadence répétitive pour être finalement virtuellement attaquées, par le pinceau et la peinture, amplifiant ainsi l'apparente impuissance du geste même (re-sic). En liant la peinture à l'image médiatisée, de nombreuses connotations fondamentales (!) sur l'Image et son iconographie occidentale apparaissent. En ce sens, le projet de Vergara est une sorte de "never-ending story" postulant une recherche totale.
Il faut reconnaître à Luc Tuymans un certain talent pour mettre en mots apparemment intelligibles et savants ce que l'on ne comprend que confusément, instinctivement... En cela aussi, c'est un grand artiste !
Cependant, à la lecture de ces lignes, face à l'"oeuvre" dont il est question, il ne nous reste plus qu'à fonder définitivement notre espoir en la véritable intelligence humaine qui, nous en faisons le voeu, tôt ou tard, se ressaisira pour mettre un terme définitif à cette logorrhée pérorante appliquée au vide...

L'"art" de Vergara consiste à appliquer de la peinture sur une surface vitrée, à la faveur aléatoire et séquentielle d'images projetées derrière la vitre par un téléviseur. Ces images, empruntées à la réalité de nos journaux télévisés, sont agencées suivant la catégorisation (aussi aléatoire que ésotérique) des sept péchés capitaux. Tout cela reste profondément simpliste et indigent, sans parler du résultat "artistique" lui-même: de banals tableaux faits d'une vitre de petite taille, maculée de peinture.
Au sein du pavillon, et comme pour compenser le vide et la mesquinerie du contenu, le tout est prodigieusement magnifié par d'immenses projections vidéos organisées par sept, chacune reprenant le Geste Artistique en cours d'exécution.

Angel Vergara, au Pavillon belge
Et dire que Tuymans parle lui-même de l'apparente impuissance du geste même (ce qui suppose qu'elle n'est que feinte, savamment bridée, et que derrière cette impuissance du geste de peindre se cache en réalité une grande maîtrise) ! En l'espèce, il vaudrait mieux s'abstenir de parler d'impuissance du geste, tant il apparaît avéré et non supposé. On ne parle pas de corde dans la maison d'un pendu...

Tuymans fait ensuite appel aux nombreuses connotations fondamentales (lesquelles ?) sur l'Image (avec un grand i), en se drapant dans l'iconographie occidentale, et en terminant enfin par le postulat d'une recherche totale. La référence aux Sept Péchés Capitaux parfume le tout d'une "démarche" intellectualiste relevant de la théologie chrétienne, créditant la production d'une véritable réflexion, d'une citation au passé canonique, à Saint Thomas d'Aquin, et hop ! Tout est dit. C'est ferme, définitif, profond, réfléchi, mystique, sans appel.

Je pense que le principal péché qu'il faut reconnaître comme ayant été parfaitement traité par Vergara, tant sur le fond que sur la forme, c'est l'orgueil. L'orgueil d'une posture visant à s'auto-proclamer censeur des images du temps, en vendant une patente pauvreté artistique et intellectuelle derrière, non pas une vitre, mais une supposée réflexion sur notre temps... L'orgueil et la paresse intellectuelle, plus précisément. Car il n'a pas fallu déployer une immense énergie intellectuelle pour concevoir ce concept et encore moins pour lui faire accéder à la réalité... L'orgueil et la paresse (ou acédie), voilà les deux péchés capitaux qui servent de véritable sujet au pavillon belge de la 54ème Biennale d'art contemporain de Venise (j'ai oublié de signaler que le titre de cette Biennale est "ILLUMInazioni", jeu de mot très subtil mélangeant le concept de lumières (physiques ou intellectuelles ?) et de nations, en une grande métaphore de l'illumination... On a compris tout de suite le génial appel fait aux facultés intellectuelles du monde de l'art pour comprendre l'ésotérisme de ce titre bouleversant.)


Brillante démonstration de la force absolue du vide, de l'inertie de la pensée artistique ambiante... au service d'une prétention à toute épreuve, manifestement proportionnelle à la paresse réflexive qu'elle compense. Pauvre Vergara, pauvres artistes.

J'ai prolongé ma visite aux Giardini par le passage en revue de la majorité des pavillons nationaux: américains, suédois, français, japonais, coréen, russe, etc... .


Je me suis un instant attardé au pavillon français qui présente pour la première fois l'oeuvre de Christian Boltanski. Depuis le commencement, cette oeuvre a fait du pathos son principal moteur. Boltanski présente une installation faite de tubulures d'échafaudage à travers lesquelles circule, dans un bruit assourdissant, comme sous les rotatives d'imprimeries, un rouleau de papier imprimé de centaines de portraits d'enfants. Cette "oeuvre" évoque le principe aléatoire et donc profondément injuste de la naissance, celle d'enfants qui, chaque seconde, dans le monde, apporte son lot d'injustice et de fatalité. Le "travail" de Boltanski est fondé sur nos vies anonymes, que ne retient aucune mémoire, et qui précisément méritent d'être arrêtées, fixées, dénoncées, comme en résistance à cette "histoire-broyeuse-d'identités".


Christian Boltanski au Pavillon français dénonce le hasard de la naissance...
"Contre le hasard de la naissance, tous unis !" ;-)

Au grand public, les gros clichés... En servant des poncifs tellement énormes, l'intelligence critique s'empêche d'en dénoncer la pauvreté de proposition. La réalité de l'injustice de la naissance est un fait tellement injuste et avéré, que tout le monde emboîte le pas dans une critique absente pour ce type d'oeuvre qui reprend la souffrance et l'injustice à son propre compte, et impose tacitement le silence à la pensée. Le jugement n'ose plus s'exercer devant une oeuvre que son auteur a volontairement voulu parfaitement consensuelle. Tout l'oeuvre de Boltanski est fondée sur cette appropriation des grandes catégories consensuelles telles la tolérance, la souffrance (surtout celle de l'holocauste), l'injustice, la déshumanisation, etc... En résumé, l'oeuvre de Boltanski fait du pathos son fond de commerce, nauséabond, parfaitement accessible par le commun des mortels, mais d'une efficacité dangereusement redoutable, mettant à néant toute forme d'esprit critique.

Ensuite, prolongeant ma promenade, j'ai encore longtemps cherché quelqu'oeuvre ou exposition à apprécier sincèrement, sans a priori. J'ai cherché, enquêté, gratté,... Rien n'y fit. Dans une forme d'hallucination collective, la foule en transhumance semblait unanimement vouée à l'idolâtrie artistique, se taisant dans toutes les langues sur l'incongruité et l'imposture des... postures artistiques, par peur du ridicule sans doute, pratiquant avec foi le "spontanéisme", cette forme de nouvelle démocratie directe qui conduit à la pire négation de la démocratie elle-même: donner à tout le monde le droit de remettre en cause ou d'aimer n'importe quoi.

Soulevée par les pas de ces légionnaires de l'art contemporain arpentant anarchiquement les allées de terre des Giardini, c'est une poussière poudrant la fin de l'après-midi d'un or solaire qui fut ma seule vraie source d'émotion. Toute l'atmosphère était alors dorée, comme recouverte de feuille d'or, dans le soleil oblique d'une fin de journée d'été, suffocante à plus d'un titre. C'est cette poussière qui me bouleversa... De la poussière, comme celle restée après la désagrégation progressive de l'art occidental, et qui se serait déposée lentement, jonchant désormais le sol de Venise.

Un long arrêt au Palazzo Fortuny m'a cependant réconcilié, où notre compatriote et brillant décorateur, Axel Vervoordt s'est, une fois encore, installé, avec de très belles oeuvres, comme à son habitude. Mais il s'agit d’une bonne habitude. Une fois tous les deux ans, Axel Vervoordt investit à Venise le Palazzo Fortuny. Brassant les siècles et les continents, le Belge y propose une somptueuse exposition. Celle-ci ne se contente pas de l’étage historique, qui abrite l’atelier du peintre et couturier Mariano Fortuny, mort en 1949. Elle envahit l’étage supérieur et se répand même dans les greniers.


Axel Vervoordt, et son exposition intitulée "Tra" au Palazzo Fortuny

Cette année, après «In-Finitum» en 2009, la manifestation s’intitule «Tra». Pourquoi donc? «Parce que c’est art à l’envers.» Le mot évoque aussi «mantra» ou «tantra». Intra muros. Enfin, "Tra" en italien signifie "à travers". Dire que l’appellation nouvelle change le produit se révélerait cependant exagéré. Il y a les mêmes créations contemporaines (Murakami), mises en regard de tableaux hollandais (Pieter de Hoogh), de sculptures égyptiennes, de classiques de l’art modernes (Léger, Magnelli…), d’objets ethnographiques, de maquettes d’architectes, etc...
Le tout baigne dans une pénombre trouée de projecteurs. Le public se retrouve hors du temps, puisqu’il est simultanément dans toutes les époques. La magie du résultat doit cependant beaucoup à Fortuny, dont plusieurs robes se voient exposées. Fortuny lui-même aspirait à créer des vêtements sans rapport avec une mode. Ses tuniques Délos, inspirées de l’Antiquité grecque et lancées vers 1910, seraient ainsi parfaitement portables (pour autant qu’on ait le physique requis) de nos jours…

Encore une station, comme dans un chemin de croix, au Pavillon d'Azerbaïdjan, au bord du Grand Canal, qui présentait de gigantesques sculptures de marbre blanc comme autant de grandes ailes d'anges dressées vers le ciel. Très beau cocktail, les pieds dans l'eau, dans un jardin luxuriant dont le rose des lauriers et des roses faisait écho à celui du ciel et des façades.
Cocktail du pavillon d'Azerbaidjan, le Long du Grand Canal



 
Une étape, également, au pavillon luxembourgeois, à la Ca' del Duca, où Martine Feipel et Jean Bechameil ont complètement déformé l'espace intérieur et le mobilier en place, par un jeu de miroir, ou par la substitution des murs, lambris, colonnes et mobilier par des moulages ondoyants, faits de mousse de polyuréthane, réalité déformée, comme vue à travers un prisme faisant flancher toute ortogonalité, ainsi qu'on pourrait voir la voir, émergée, depuis une caméra sous-marine. 
Martine Feipel et Jean Bechaimel, installation "déformante" faite de moulages en mousse de la réalité strucutrelle et mobilière de la Ca' del Duca, Pavillon luxembourgeois

Venise. Cette ville est un rêve... Cette ville n'existe pas; chaque fois différente, toujours fuyante, elle n'est qu'un mirage sorti de l'eau de la lagune, solide et liquide, brûlante et glacée, ensoleillée ou ombreuse, cité grossière et délicate, rustique et raffinée, boudoir ou bordel, presqu'île de l'Occident et porte vers la Chine...

Capitale du Beau, grandiose, tragique et fragile, parce que rongée par son principe même, haut lieu de l'histoire de l'art, sans cesse redécouverte, insaisissable dans son infinie complexité, Venise est désormais devenue le faire valoir de l'art contemporain, le lieu idéal de la sacralisation de ce culte, l'implantation définitive de ses autels, de ses paroisses, de ses églises.

Prostituée parce que richement payée, elle attire les plus gros capitaux du monde sous le prétexte d'un art contemporain qui n'est fait, en général, que de spéculation(s). Puisque tout y paraît plus beau, plus séduisant, plus légitime, plus crédible, aux côtés de Titien, de Tintoret, de Vivaldi, de Palladio, de Vittoria, il fallait que s'installât là la nouvelle religion de l'art contemporain, avec son Vatican, ses dômes, ses clercs, sa liturgie, son catéchisme.

S'intégrant parfaitement à la fantaisie essentielle à la ville elle-même, l'art contemporain y est magnifié par l'histoire, le luxe et le raffinement inouïs de cette poche urbaine vascularisée par ses canaux comme par ses capitaux. Les porte - étendards de l'art contemporain ne s'y sont pas trompés, Pinault en tête, et son Palazzo Grassi (le bien nommé), ou Abramovitch, célèbre oligarque russe qui avait d'ailleurs amarré son yacht à deux pas de l'entrée de Giardini: Venise est désormais la vitrine célèbre d'un marché de luxe, fondé non sur la qualité du produit, mais sur son marketing.

Venise, cette putain de l'Europe qui n'est belle et désirable que parce qu'on la paye grass(i) - ment et dont l'art contemporain est dorénavant le proxénète.

Venise, Mecque ou putain de l'art contemporain ? Peu importe finalement. Tout ce que l'on peut en dire, c'est que l'on en revient comme du bordel... la tête sens - dessus - dessous, le regard creux, déboussolé, écoeuré parfois, avec une impression de vide intérieur... Finalement, ce qui compte, c'est d'en revenir... 

D'en revenir enrichi d'une meilleure vision sur ce que notre société produit en matière artistique, implacable reflet de nous-mêmes, avec nos errements, nos doutes et nos angoisses. Rêve ou cauchemar, le principal est de savoir où l'on se situe, bien loin des cris et des impostures, pour goûter mieux encore à ce que l'on chérit.


Dans le cadre du pavillon ukrainien, l'artiste Oksana Mas, ici le long du Grand Canal ou à l'église San Fantin propose des installations d'art monumental représentant en close up's des oeuvres mondialement connues de la Renaissance italienne ou des Primitifs flamands (ici le retable de l'Agneau mystique). Ces images sont faites de millions d'oeufs en bois décorés, chacun individuellement, à travers 42 pays, par des femmes en milieu carcéral. On peut gloser à l'infini sur ce que l'oeuf peut avoir d'écho féminin, utilisés ainsi collectivement au service d'une oeuvre individuelle forte et symolique.

 

vendredi 27 mai 2011

Face à l'Info, Musées fédéraux et gratuité dans les musées

Lundi 23 mai, j'étais "Face à l'Info", brillante émission quotidienne préparée et présentée par Eddy Caekelberghs sur La Première Radio RTBF. Le thème était "Musées fédéraux, gratuité et avenir". A mes côtés Bernard Hennebert, promoteur de Consoloisir, association de défense des intérêts des usagers culturels, et Michel Draguet, directeur général des Musées Royaux d'Art et d'Histoire et actuel directeur ad interim des Musées Royaux d'Art et d'Histoire.

Je vous invite à réécouter cette émission en cliquant sur le lien ci-après.

J'y développe mon projet pour le Cinquantenaire (et autres musées) à partir de la ... 20ème minute, soit à 1320/1680.
Merci de votre écoute et de vos commentaires sur mon mail constantin.chariot@gmail.com
A bientôt.

vendredi 6 mai 2011

Musée d'Art Moderne R.I.P.

"Requiescat in pace"


Qu'il repose en paix. C'est le titre d'une récente émission diffusée le 4 mai dernier et proposée par Télébruxelles au sujet de la fermeture brutale et non concertée du Musée d'Art Moderne, partie intégrante des Musées Royaux des Beaux Arts de Belgique. Présentée par l'incisif journaliste David Courier, l'émission confrontait Michel Draguet, Directeur des Musées Royaux des Beaux Arts, à deux de ses détracteurs: Albert Baronian, célèbre galeriste bruxellois, et Bernard Villers, artiste plasiticien.

Pour voir l'émission cliquer sur:
 http://www.telebruxelles.net/portail/emissions/magazines-a-voir-en-ligne/un-soir-a-bruxelles/14323-musee-dart-moderne-rip- 
en passant les trois premières minutes de pub sur le film Da Vinci Code...

L'argument des tenants d'un Musée d'Art Moderne tient essentiellement dans la nature même d'un musée qui est d'être le lieu de confrontations, de juxtapositions enrichissantes, dans un relativisme constructif où chaque artiste, chaque oeuvre, existent dans leur rapport au tout. Ce que Malraux appelait "le concert des mélodies contradictoires" à l'endroit d'un musée, c'est précisément cette enrichissante comparaison que chaque visiteur, amateur ou spécialiste, dans une démarche contemplative et intellectuelle, fera entre diverses expressions artistiques. C'est la fonction même d'un musée que d'être universaliste. Le Musée d'Art Moderne de Bruxelles permettait autrefois cette approche. Aujourd'hui, il est fermé. Seul Magritte surnage avec une visibilité outrageante, tandis que les autres artistes ont été précipité au fond du gouffre...

Michel Draguet, quant à lui, semble remiser définitivement l'antique concept du Grand Musée fourre-tout, "les grands récits" (?) comme il le dit, qui autrefois, alors que la mobilité et la communication étaient moindre qu'aujourd'hui, convoquaient à leurs cimaises et dans leurs salles toutes les productions d'une époque ou d'une région du Monde, dans une visée résolument générique. Le Musée d'Art Moderne n'a plus aujourd'hui, pour Michel Draguet, de raison d'être puisque les jeunes bougent et s'informent, avec Internet, notamment. Il convient donc de proposer des musées plus "spécifiques", mieux organisés quant à leur "récit", dans un "redéploiement" de collections qui en précise le propos, en manière telle de positionner Bruxelles et la Belgique sur la carte internationale de l'art.

L'effet Magritte est à ce titre éclairant sur la vision de ce grand directeur de musée: il spécifie le discours sur l'art belge autour d'un seul artiste et d'un seul courant. Magritte et le surréalisme sont aujourd'hui le MUST SEE des Musées belges et bruxellois, dans un branding de l'art qui positionne ce musée comme un produit.

Voilà les deux positions antagonistes qui sont à l'oeuvre dans ce débat. Il est à craindre que rien n'arrête la trancheuse qui opère par découpes dans les collections... Le Musée d'Art ancien et les Musées ROyaux d'Art et d'Histoire risqueraient bien d'y passer, eux aussi...

Un futur musée d'art moderne à Bruxelles ? Sur un nouveau site ? Incarné par un geste architectural fort ? On peut toujours rêver... Mais avant de dépenser des sommes insensées pour de tels projets, pourquoi ne pas avoir la même énergie à valoriser et dynamiser les structures existantes ? Pourquoi faudrait-il du neuf, alors que les Musées fédéraux souffrent de graves anémies financières ? A force de trop vouloir travailler dans la néophilie (l'amour du neuf pour lui-même) on fossoye les organismes vivants, vieux et déclassés.

"... dans l'air froid de cette chambre... une âme voltige"
Le Marat assassiné, le Musée assassiné...



Le Marat assassiné de David dont il est fait mention dans l'émission illustre bien selon moi la fin des idéaux universalistes dans les musées belges... En peignant son ami Marat, assassiné dans son bain par Charlotte Cordet, David rend hommage aux idéaux généreux de la révolution anéantis par le geste aveugle et isolé d'une main assassine... Dans ce tableau, c'est le martyr de l'esprit d'ouverture, l'extinction de la lumière morale que peint l'artiste.

Comment ne pas voir dans cette oeuvre que Beaudelaire qualifiait d'"une des grandes curiosités de l'art moderne" la métaphore de l'enterrement (définitif ?) du Musée d'Art Moderne et avec lui d'une vision du musée (lui-même héritier des idéaux de la révolution et des Droits de l'Homme qui consacrent le libre accès à la culture), un musée large, ouvert et curieux qui irradie son message sans contrainte du discours, sans restriction et sans compromission... ?

En conclusion, reprenons ce que disait Beaudelaire au sujet de ce chef d'oeuvre de David:
"Le drame est là, vivant dans toute sa lamentable horreur, et par un tour de force étrange qui fait de cette peinture le chef d'oeuvre de David et une des grandes curiosités de l'art moderne, elle n'a rien de trivial ni d'ignoble. Ce qu'il y a de plus étonnant dans ce poème inaccoutumé, c'est qu'il est peint avec une rapidité extrême, et quand on songe à la beauté du dessin : il y a là de quoi confondre l'esprit. Ceci est le pain des forts et le triomphe du spiritualisme : cruel comme la nature, ce tableau a tout le parfum de l'idéal. Quelle était donc cette laideur que la sainte Mort a si vite effacée du bout de son aile ? Marat peut désormais défier l'Apollon, la Mort vient de le baiser de ses lèvres amoureuses, et il repose dans le calme de sa métamorphose. Il y a dans cette oeuvre quelque chose de poignant à la fois; dans l'air froid de cette chambre, sur ces murs froids, autour de cette froide et funèbre baignoire, une âme voltige."

samedi 30 avril 2011

Charles Szymkowicz, palette de consciences.

Je me suis rendu en visite il y a quelques jours à l'atelier du peintre Charles Szymkowicz à Gerpinnes.
Nous nous sommes récemment liés d'amitié. Charles m'a, en effet, contacté pour envisager par quels moyens je pouvais l'aider à concrétiser en Belgique un projet d'exposition qui ferait le pendant à celle qu'il organise à Rome l'année prochaine. Cette exposition présentera une nouvelle direction de l'oeuvre très homogène de Szymkovicz autour d'une variation quasi mélodique sur le thème du Caravage.


Visite du 26 avril dernier à l'atelier de Charles Szymkovicz à Gerpinnes

Szymkowicz est un peintre, avant tout. Un peintre enragé, forcené même, qui triture la peinture avec force dans le grand tambour de son atelier: une pièce relativement étroite et haute, exprimant, trahissant même, par les outils de la peinture (pinceaux, loques, toiles, châssis amoncelés,..), par un amas de reliques, par une stratigraphie de déjections, par l'empilement de pots vides, sa folie picturale, sa nécessaire pulsion de peindre.

Dans le cratère du volcan...

Son oeuvre est quasi entièrement peinte à l'acrylique sur toile et se focalise sur la production de portraits des grandes figures de l'art et de l'esprit, traitées avec violence dans la couleur et la matière. Car si Szymkowicz est un néo-expressioniste, il est aussi et avant tout un matiériste et un monumentaliste. Il traite la figure humaine par de larges touches empâtées qui exacerbent les formes et les expressions. Cette matière est sa signature. Tantôt fluide, tantôt épaisse, elle sculpte la psychologie des regards, la physionomie des visages. En peignant ces visages dans des dimensions largement exagérées, il en accroît la puissance d'expression. Ces visages sont, dans son oeuvre, le fondement du message de Szymkowicz. Ils sont des icônes de mémoire, d'éthique, de grandeur morale, ils constituent les jalons de notre conscience, les balises de notre humanité.
Les couleurs sont souvent acides, peu harmonieuses, déchirantes comme un cri. Le peintre se sert de ces dissonances comme mur d'écho à notre interrogation, à nos doutes, à nos angoisses. Ces couleurs ne rassurent pas: elles aggravent le vertige de notre finitude, de nos limites, face à tant de présence.


Car enfin, la peinture de Szymkowicz est d'abord le lieu d'un retour sur soi, opéré dans le miroir des regards de ces grandes consciences de l'humanité, qui scrutent notre for intérieur en nous rappelant, telle la figure du Commandeur, à notre nécessaire et souvent fuyante rigueur. Cette intéressante confrontation à laquelle nous convie Szymkowicz est essentielle à son expressionisme. Cet expressionisme si cher à la peinture flamande d'un Frits Van der Berghe, d'un Gus De Smet ou même de James Ensor, Szymkowicz le revisite à travers cette grande galerie de portraits éthiques traités avec la même constante fantaisie que les icônes photocolorées d'images ou de portraits médiatiques de Warhol. Sauf qu'ici, précisément, Szymkowicz offre à voir non pas la vacuité de figures mass médiatiques ou de produits de consommation, mais, par une démarche authentique et sincère de vrai peintre, la vitalité même de l'esprit humain, en ce qu'il a de plus noble et de plus élevé.


En attendant l'exposition de Rome et son pendant belge, Charles Szymkovicz expose à la Galerie La Louve (1, rue Saint-Orban à 6860 LOUFTEMONT) du 8 mai au 2 juillet 2011.

Un documentaire sur la vie artistique de Charles Szymkowicz est actuellement en cours de tournage par le réalisateur Bernard Gillain, sous la forme d'un autoportrait intitulé "Charleroyal ou Le K Szymkowicz", avec la Voix de Michel Bouquet.

jeudi 24 février 2011

Olivier Debré au Musée d'Ixelles

Je visitais hier soir l'exposition rétrospective d'Olivier Debré au Musée d'Ixelles. Je la recommande pour son intérêt historique et re-contextuel.

Cet artiste lyrique abstrait d'après-guerre a eu son heure de gloire, dans les foyers artistiques parisiens des années 50 - 60. Il est aujourd'hui injustement oublié, particulièrement en Belgique. Cette exposition, dans la foulée de celle du Musée d'Art Moderne de Paris en mai 2010, a le mérite de replacer cette production dans son contexte particulier. Si on  la resitue dans l'époque, cette oeuvre parisienne avait véritablement quelque chose de surprenant, de neuf (si l'on se réfère à la définition a posteriori de la néomanie).
Au sortir de la guerre, les échos du surréalisme naissant se font encore largement entendre. Matta aux Etats Unis est en fusion des genres: surréaliste - abstrait.
Un abstrait lyrique, expressionniste se fait alors jour qui devient avant-garde américaine, très impérialiste, en fait.



C'est à cette avant-garde colonialiste de l'Europe que le "travail" d'Olivier Debré s'est heurté, ce mouvement conquérant d'une Amérique triomphante de son cinéma, qui veut tenir le haut du pavé avec une industrie artistique tout aussi influente (New York, Jackson Pollock, Matta, Jasper Johns, etc... Léo Castelli et consorts) pour mieux fasciner l'Europe en pleine reconstruction. C'est aussi face au danger communiste d'un bloc de l'est en cours de solidification que s'élève cette vague, laquelle amènera rapidement les ingrédients du Pop Art, vision américaine d'un art-(de la)-consommation tout possession de ses moyens.

En visitant cette exposition, donc, j'ai été frappé par la diversité d'expression, servie par une identité de moyens.



Depuis l'urinoir de Duchamp qui, dans les années d'après-guerre, fait déjà figure de maître occulte, en ce qu'il invite à repenser de fond en comble la raison d'être de l'art, s'est développé un axe iconoclaste sur lequel Jackson Pollock, en filiation directe avec le ready made de Duchamp, qui sapait l'idée même de peindre, va surfer. A sa suite, un peu comme dans la variante free du jazz du même nom, vont se jeter une foule de peintres saisissant l'abstrait lyrique comme moyen spectaculaire de peindre, avec expressionnisme, appliquant des couleurs épaissies à dessein, de manière à étouffer le geste pourtant noble et flatteur qui l'applique. Et avec eux, la littérature - fleuve du "geste-signe", du "signe-personnage", du "signe-paysage" (Debré (sic)), etc... Bref, tout ce que l'on écrira sur la pertinence du signifiant au regard du signifié, sur la liberté du geste, l'action painting, la main libre, etc...

Mais à partir de là, comment ne pas ressentir que cette main fait volontairement la bête, qu'elle cherche et travaille en-deçà de ce qu'elle sait, faisant l'ignorante pour avoir l'air plus libre et donc plus spontanée ? Elle fait la bête pour retranscrire des profondeurs subconscientes supposées, mais fort consciemment agencées, cultivées...
Introduites avec violence, parfois, ces couleurs entrent alors dans une application rhétorique et pulsionnelle, voulant faire simple pour faire simple, dans un primitivisme civilisé...

La peinture, l'art demandent une forme de structure, qu'elle qu'elle soit, de grammaire, de solfège, de contrainte technique. L'artiste n'est-il pas celui qui transcende, qui se joue même de la contrainte technique ? Ainsi des cathédrales gothiques, ainsi de la sculpture du Bernin, ainsi de la poésie de Rimbaud. La musique de Bach n'est-elle pas la contrainte-même élevée au rang de poésie mathématique ? Le nouveau roman de Robbe-Grillet est-il aussi intéressant que la prose de Balzac ? Chez Hartung, Soulages, Sol Lewit, une application de peinture, sur des supports unifiés, une technique certaine, certes, mais de dépassement technique, de démonstration de transcendance technique, nullement.

Triompher de la difficulté est bien plus grand qu'en faire sauter la barrière...

Exposition à voir, au Musée d'Ixelles, jusqu'au 15 mai 2011.

mercredi 23 février 2011

Debussy et Colombine: le Recueil Vasnier


Mes amies Eliane Reyes, pianiste, et Anne Renouprez, soprano, viennent d'enregistrer chez Pavane un nouveau disque consacré au recueil de chansons composé par Claude Debussy (1862 - 1918) à l'attention de sa Colombine de jeunesse, Marie Blanche Vasnier; ce cd est très attendu des mélomanes.


Anne et Eliane
Photos et stylisme: Frédéric Luca Landi
L'histoire

A dix-neuf ans, Achille Claude tombe éperdument amoureux de cette belle rousse aux yeux verts.
En 1881, grâce à son premier prix d'accompagnement, il commence à gagner sa vie comme accompagnateur dans la classe de chant de Victorine Moreau-Sainti.
C'est là qu'il rencontre Marie Blanche, le premier grand amour de sa vie. Femme mariée, de beaucoup son aînée, il est très épris d'elle et lui écrit de nombreux chants d'amour pour sa voix de soprano; c'est à elle encore qu'il dédie son premier recueil des Fêtes Galantes et Mandoline sur un poème de Paul Verlaine.

Les aspirations amoureuses se concrétisent rapidement et les deux amants entretiennent une relation passionnée pendant au moins six ans... Mme Vasnier prend le jeune Debussy sous sa protection maternelle en le guidant sur le choix de ses vêtements et dans ses manières. Mais Monsieur Vasnier, sentant les pressantes inclinations du jeune homme pour son épouse, éloigne l'importun en l'encourageant à se présenter au prix de Rome. Cet exil forcé aura sur la carrière de Debussy l'influence que l'on sait... Le Recueil sera achevé en 1884; quant à l'idylle, elle finira entre l'été 86 et début 1887.

Le pastelliste Jacques Emile Blanche a immortalisé les traits de Marie Blanche Vasnier, en 1888, soit 7 ans après la composition du recueil, dans un grand portrait aujourd'hui conservé au Musée du Petit Palais à Paris.
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Le disque

Cet ensemble de chansons, d'une grande délicatesse et d'une fraîcheur de rose à l'aube, est donc l'oeuvre d'un Debussy d'avant le Prix de Rome. Rarement ou jamais enregistré in extenso, ce recueil est ici interprété avec la sensibilité toute féminine de grandes artistes, dont la carrière internationale confirme crescendo le talent et la rigueur artistique.
Un concert de lancement du disque est prévu au Grand Théâtre de Verviers ce vendredi 25 février à 20 heures. D'autres performances publiques devraient encore suivre.




Liste d'écoute: 
Nuit d'Etoiles http://snd.sc/h6S4PT 
Clair de Lune http://snd.sc/fbbC4O

Informations et contact:
Hélène Villette
Convergences
Représentation artistique et Relation publique
00 33 (0)2 96 25 08 26 (fixe)
00 33 (0)6 84 16 42 14
helene_villette@yahoo.fr
Manoir de la Ville aux Veneurs
22 600 Trévé (France)



lundi 21 février 2011

NOT ALONE !

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Depuis le 10 février et jusqu'au vendredi 25 février, se tient une exposition de photographies extraordinaires chez Pierre Bergé et associés Belgique, au Sablon (Bruxelles). Initiée depuis de longs mois, cette exposition est l'aboutissement, mais aussi le départ, d'une nouvelle ambition, d'un nouveau projet cher à mes amis Ghislain et Marie David de Lossy.

Photographes de stock et de mode depuis près de vingt ans, ils se sont lancé un nouveau défi en revenant à leurs premières amours: la photographie animalière qu'ils pratiquaient dans les années 70, mais en exploitant aujourd'hui les possibilités illimitées des nouvelles techniques liées au numérique.
Cette première exposition solo est déjà un immense succès; par un travail qui transcende le genre de la photographie animalière et les techniques traditionnelles, ils reviennent de quatre voyages en Finlande et présentent vingt de leurs plus surprenantes photos.

Chasseurs sans fusil, au coeur de la toundra finlandaise ou de la forêt boréale, dans des conditions extrêmes, ils attendent, attendent pendant des heures, dans le silence... Ils ne sont pas seuls, en effet. Emmenés par un ranger très averti sur les pas de l'ours brun, sur les lieux de nidification du tétra, ou encore à la croisée des chemins du caribou, ils s'abritent dans de minuscules cabanes dotées d'une très haute buse d'évacuation, ... non des fumées mais de leurs propres odeurs d'humains ! ... Pour ne pas faire fuir l'objet de leur attente.
Lorsque l'animal paraît, ils en fixent l'éphémère figure en mouvement, puis shootent en centaines d'autres clichés (réglés sur la même distance focale, le même vitesse de diaphragme, la même profondeur de champ que celle figurant l'animal) l'immense environnement naturel, fixe. Le résultat est stupéfiant: après assemblage informatique de toutes les prises de vues, ces photos de plusieurs mètres de longs et de plusieurs dizaines de millions de pixels offrent un regard quelque peu surnaturel sur le biotope de l'espèce photographiée, demandant parfois au spectateur, dont le regard se perd dans l'extraordinaire détail de la photo, de chercher, de débusquer l'animal.
Toute la poésie de la photographie de Marie et Ghislain se trouve dans le dialogue entre la macro et la microphotographie, dans le détail extrême de la fine lame de netteté fixée au départ de l'animal photographié et l'immense contexte dans lequel il est représenté.

Ces photos ont une force sans pareil en ce qu'elles plongent le spectateur dans l'infiniment grand de la nature, au sens rousseauiste, pré-romantique du terme. Au même titre que la peinture de Caspar David Friedrich confronte l'homme au cosmos naturel de son environnement, la photographie de Marie et Ghislain David de Lossy nous renvoie au fond des forêts dont nous venons, nous, hommes, animaux intelligents, sédentarisés, synthétisés dans nos modes de vies à l'horizon bouché. Gommant la notion de frontière, de limite visuelle qui conditionne nos existences de singes civilisés des villes et des campagnes, ces photographies réveillent en nous l'attachement pulsionnel à notre mère nature, à la vie sauvage, à la communion avec la terre, et nous renvoient à notre monde originel, éternellement recréé, souhaitons-le, à celui d'une virginité des rapports entre l'homme et son environnement.
A notre époque d'errance écologique, ces photos décoiffent et nous murmurent à l'oreille, dans nos villes embouteillées "de grande solitude": "You are Not Alone".


A voir à l'espace Pierre Bergé au Sablon jusqu'au 25 février de 10 à 18 heures. Fermé le week-end.
Un très beau site, aussi, pour prolonger l'exposition: http://www.gmdaviddelossy.com/
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samedi 19 février 2011

Mirwart, mon beau Mirwart...


Je visitais hier le château de Mirwart en Luxembourg belge, non loin de Saint Hubert. Classé comme monument en 1978, tant pour la qualité extérieure qu'intérieure de ses éléments, la Commission des Monuments et Sites du Luxembourg, devait, en effet, se prononcer hier sur le... déclassement de ce très beau château. Oui, vous avez bien lu... déclassement.

Paradoxale démarche que celle de devoir déclasser un bien patrimonial d'une telle importance... La raison est à chercher dans l'incurie et la défaillance complète de son dernier propriétaire, à savoir la Province de Luxembourg elle-même, que vint aggraver un imbroglio politico - administratif qui dura près de quarante ans ! Durant tout ce temps, la Province de Luxembourg a laissé ce château à l'abandon, fantasmant un centre de congrès par-ci, un siège administratif par-là, élucubrant divers projets fumeux qui n'ont jamais abouti. Un chantier de rénovations intérieures a même été entamé par le Service Technique Provincial, chantier qui n'a jamais été terminé... Des dalles de bétons ont été coulées à même le plancher des étages, se servant des parquets de chêne existants comme coffrage !!! Un vrai massacre.

Résultat: au cours des vingt cinq dernières années, TOUT l'intérieur a été pillé, saccagé, arraché... Plus une cheminée, plus un seul mètre carré de lambris, plus de parquet... Une véritable mise en carrière de ce château qui, dans les années 75, était encore habité et parfaitement entretenu par la famille Wachenko. Cette dernière vendit, croyant bien faire, à la Province qui allait en assurer la pérennité (croyait-elle !), et pour une croûte de pain, ce merveilleux élément de patrimoine, joyau historique et architectural de Wallonie

Par pudeur, j'ai préféré ne pas publier les photos intérieures de l'état actuel du château. Trop triste...

Notre visite a conclu à un maintient du classement extérieur et à un déclassement partiel intérieur. Seront maintenus dans le périmètre de classement quelques salons encore restaurables, les cages d'escaliers latérales, la chapelle, et les charpentes. Une extension du périmètre de classement en site est également envisagée.

Un nouveau propriétaire hollandais semble aujourd'hui redonner vie à ce triste cadavre... pour en faire un hôtel. Réjouissons-nous en et souhaitons que le projet aboutisse.

La morale de cette lamentable fable se pose sous forme de question : les pouvoirs publics ont-ils pour vocation d'être propriétaires de biens patrimoniaux majeurs, dont la qualité insigne relève, certes, de l'intérêt collectif, mais dont la fragilité réclame compétence, responsabilité et volonté de bien faire ?

Pour des informations sur le château: http://fr.wikipedia.org/wiki/Ch%C3%A2teau_de_Mirwart
Enfin, pour une synthèse en images, voir le reportage de Jean-Claude Defossé réalisé pour la RTBF en 2008: http://www.dailymotion.com/video/x5ggc6_jti-32_fun

jeudi 17 février 2011

Le Salon des Refusés ou le Candide bâillonné...

Je participais hier à une table ronde organisée par le magazine LOBBY à Bruxelles, dans la très belle librairie Candide, place Brugmann, sur le thème "Le marché de l'art contemporain, pour ou contre ?".
Etaient invités Pierre Sterckx, critique d'art bien connu, Rodolphe Janssen, galeriste bruxellois, Philippe Farcy, journaliste culturel à La Libre Belgique, Catherine de Limbourg, artiste peintre, Thierry, un collectionneur d'art contemporain; en modérateur (cela allait être nécessaire...), Paul Grosjean, brillant rédacteur en chef du magazine.

Si le débat, présenté sous l'aspect accrocheur "du pour ou du contre", n'avait, en tant que tel, aucun intérêt (il n'y a aucune espèce de pertinence à être pour ou contre le marché de l'art contemporain, puisqu'il existe de toutes façons), il trouva très vite sa raison d'être à l'endroit de la polémique qui, immédiatement, enfla autour de la question préalable "qu'est-ce que l'art contemporain ?"
Voilà des années, à dire vrai, qu'en tant que praticien de l'art et de la culture, je me pose la question...

Pour un « libre examen » de la Culture en Communauté française

Ce texte a été écrit en 2007 dans le cadre de la publication par le Centre Jean Gol à Bruxelles du livre: "Un autre monde (culturel) est possible".

Et d’abord, pour prendre un peu d’altitude, sans doute est-il bon de se demander ce qu’est, réellement, la culture ?

Quand le mot « culture » est employé en français (dans son acception intellectuelle, par opposition à sa signification agricole), il désigne cette substance de la vie qui donne du goût à notre quotidien, qui nous procure émotion et plaisir, et qui confère, sinon un sens, du moins une épaisseur et une direction à nos existences.

Une chose est certaine : la culture n’a de sens et n’existe que si on la partage. Générateur de lien social, ciment des cellules et des communautés les plus diverses, la culture est ce qui nous permet de vivre en société et est, en ce sens, le meilleur facteur de paix sociale. La violence trouve souvent sa cause dans une mauvaise gestion de la question existentielle : crise d’identité, manque d’attaches, pertes de repères, déracinement,… La culture reste donc ce socle indispensable sur lequel on bâtira toujours les réponses morales, philosophiques, spirituelles des sociétés humaines, quelles qu’elles soient.

Mais la culture doit être au service de la démocratie, tout comme la démocratie doit être garante de la culture, de sa diversité, de sa liberté. Car, rappelons-le, les sociétés totalitaires aussi ont leur culture, parfois très  puissante et disons-le, malheureusement, par trop séduisante.
Nos démocraties, peuvent-elles encore prétendre accoucher de réalisations et de politiques culturelles ambitieuses ? Ne génèrent-elles elles pas majoritairement d’œuvres médiocres, futiles, consensuelles et nombrilistes ?

Quo vadis Maecenas ?

Plaidoyer pour un cadre fiscal et législatif du mécénat belge.
Ce texte a été écrit dans le cadre de mon intervention au Colloque organisé au Sénat de Belgique par le Mouvement Réformateur sous le titre "L'Argent, le nerf des Musées", le 30 mars 2009.

Où vas-tu Mécène ? Le mécénat est-il un moyen de répondre à la problématique financière que rencontrent aujourd’hui les musées, et plus généralement la culture ? Poser la question revient à y répondre, surtout de nos jours, alors que s’écroulent les certitudes du monde financier et que se repose la question même d’un nouveau capitalisme fondé sur plus de responsabilité et d’éthique.

Comment les musées vont-ils pouvoir répondre aux exigences de leur propre existence alors que, laissés-pour-compte traditionnels des budgets de l’Etat, leurs alliés objectifs que constituaient, avec peine déjà, les grandes institutions financières sont aujourd’hui sur le flanc ? L’Etat ne peut pas rester sans réponse à cette épineuse question. Il a donc la responsabilité de légiférer pour décadenasser le mécénat resté trop longtemps sans cadre fiscal propre, sorte d’hybride légal peu attractif, à mi-chemin entre don, libéralité et promotion.

Cependant, consécutivement à la crise financière en cours, et depuis longtemps déjà, il apparaît que l’Etat belge (sous toute forme quelconque, disons « la puissance publique ») ne peut plus faire face, seul, à la nécessité de supporter financièrement l’initiative culturelle, en général, la politique muséale, en particulier.

Paradoxalement, l’échec chronique du travail législatif fédéral montre qu’un blocage structurel caractérise l’attitude de l’Etat dans sa volonté de favoriser ce mécénat ; ce blocage semble être tenace et pourrait être résumé trivialement par le célèbre : « je voudrais bien mais je ne peux point ».

De l'Encens pour l'Occident

Relecture des influences de l'Islam culturel sur l'Occident médiéval
Ce texte, écrit en novembre 2008, doit beaucoup aux arguments du plaidoyer publié sur le blog Stalker par Jean-Gérard Lapacherie, sous le titre "Brûler la sorcière".


Sylvain Gouguenheim enseigne l’histoire médiévale à l’École normale supérieure de Lyon; il a publié en mars 2008, aux Éditions du Seuil ont publié, dans la collection «L’Univers Historique» (l’une des plus sérieuses qui soient et au catalogue de laquelle figurent les œuvres des meilleurs historiens, qu’ils soient français ou étrangers,) un ouvrage au titre à la fois étonnant et éloquent : Aristote au Mont Saint-Michel, mais dont le sous-titre est explicite : Les racines grecques de l’Europe chrétienne. La collection, l’éditeur, l’auteur, tout respire le sérieux, le savoir, la connaissance.



Cet ouvrage aurait été qualifié, il y a un siècle, de monument de la connaissance historique. M. Gouguenheim y examine la thèse «dominante», jusque dans les hautes sphères de l’Université, de l’Europe, de l’État, que voici : les «Arabes» ont joué un rôle déterminant dans la formation de l’identité culturelle de l’Europe en « mettant au frigo » des connaissances antiques (littéraires, médicales, arithmétiques, historiques, etc…) que le Moyen Age occidental, enfoncé dans ce « dark age » qui le qualifie si bien en anglais, n’aurait jamais pu conserver seul.
Que fait Sylvain Gouguenheim, il conteste cette interprétation universellement acquise et prouve que l’Europe a bel et bien été capable de maintenir dans son girond, au Mont Saint Michel précisément, un ensemble de savoirs qu’il n’ pas fallu aller rechercher au nord de l’Afrique…
Le titre résume l’entreprise : c’est au monastère du Mont Saint-Michel que les œuvres des savants grecs, dont Aristote, ont été traduites en latin, avant que ne soient connues en Europe les versions latines des versions arabes, elles-mêmes adaptées du syriaque, d’une partie de ces œuvres.

La conclusion est claire : du VIe au XIIe siècle, l’héritage grec (médecine, sciences, mathématiques, philosophie, logique, grammaire, politique, etc.) a été pensé à Byzance, en Asie mineure, par les communautés chrétiennes syriaques vivant sous le joug des envahisseurs arabes, ainsi que dans les monastères d’Europe de l’Ouest : Mont Saint-Michel, Mont Cassin, à Paris, à Amiens, dans les écoles de Charlemagne, dans les monastères du Rhin, à Oxford, etc.

L’Europe n’est alors pas sur les rives de la Méditerranée, mais dans les brumes du Nord, dans la vallée du Rhin, à Oxford, à Paris, au Mont Saint-Michel…

Il est donc un fait établi que les Européens ont accédé au savoir grec, sans qu’ils fussent éclairés par l’islam ou par les guerriers d’Allah ou par les oulémas, savants en islam, ou par les cadis, juges religieux chargés d’appliquer la charia, qui ont soumis l’Espagne à la loi d’Allah.

La thèse n’est en rien diabolique, démoniaque, contraire aux droits de l’homme ou criminelle. Or, c’est pour criminelle qu’elle est tenue et son auteur est désigné à la vindicte des fous furieux, véritables inquisiteurs d’une vérité historique qui ne peut souffrir la moindre contradiction.


Faut-il restituer les frises du Parthénon ?

Ce texte a été écrit dans le cadre du colloque sur le même sujet organisé par le Centre Jean Gol à Bruxelles le 28 novembre 2009.

Faut-il restituer les frises du Parthénon ?







Innombrables sont les éléments de réponse en faveur ou contre cette proposition. Une foule de critères sont de nature à apporter une réponse à cette question précise qui touche, plus génériquement, à la problématique universelle de la propriété des objets d’arts. A qui appartient le patrimoine artistique ? A l’humanité ? A la nation qui l’a vu naître ? A son dernier propriétaire, fut-il illégitime ? A celui qui l’a sauvé de la ruine définitive ? A celui qui le conserve, l’expose, l’étudie et le promeut ?

En fait, il n’y a pas de réponse tranchée à cette question. Il s’agit, chaque fois, d’un cas particulier.

A l’analyse, il semble cependant, sans vouloir trancher définitivement cette vaste question, qu’une série de critères objectivables peuvent être retenus.