mercredi 24 juin 2015

Exposition - vente "La Résistance des Images", à la Patinoire Royale, jusqu'au 30 septembre 2015
 
Commissariat général: Jean-Jacques AILLAGON, assisté de Guillaume PICON
 
Le lieu et le projet
 
La Patinoire Royale est une galerie d’art émanant d’une initiative privée, organisant des expositions – ventes temporaires d’une durée de quatre mois environ. Ces expositions ont pour ambition de faire retour et d’interroger les soixante dernières années de la scène artistique européenne, que ce soit des arts plastiques ou du design.
Ce faisant, la Patinoire Royale poursuit un double but: celui de répondre à la demande pédagogique croissante d’un public toujours plus friand de comprendre le contexte actuel de l’art contemporain en percevant mieux l’histoire récente de l’art moderne. Le deuxième but est de permettre au public des amateurs et des collectionneurs de s’approprier en l’achetant une œuvre d’art présentée dans un contexte muséal.
En quelque sorte, la Patinoire Royale peut être considérée comme un lieu de culture, à l’exigence muséale, où tout serait à vendre. Cet hybride constitue un « unicus » dans le paysage culturel belge et européen. La vente des œuvres en ses murs permet d’équilibrer les budgets et de créer une dynamique dans la poursuite de ses projets et la programmation des expositions futures.
Le propos de l’exposition
En 1964, à la Biennale de Venise, le peintre américain Robert Rauschenberg remporte le prix de la Biennale pour ses compositions innovantes et particulièrement abstraites. Pour les peintres français de l’époque, tous attachés à la figuration, cette victoire constitue une menace. Tous sont des artistes engagés politiquement, jeunes et contestataires, et n’entendent pas de se faire déposséder du principal médium de leur engagement que constitue l’image. Rassemblés autour de la figure de Gérald Gassiot Talabot, brillant critique et commissaire d’exposition, ces peintres français (ou travaillant en France, en provenance de pays divers) décident de se mettre en mouvement lors d’une exposition manifeste organisée en 1964 au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Plus qu’un mouvement homogène, la ‘Figuration narrative’ telle qu’ils qualifient leur rassemblement, est davantage l’addition d’individualités artistiques très diverses, partageant cependant la commune envie de défendre l’image et son rôle narratif dans la création de l’époque.
 
L’exposition ‘La Résistance des Images’ présente un ensemble de près de 170 œuvres des artistes de cette mouvance artistique. Certains en furent les ténors fondateurs, d’autres s’en réclament à distance. La présente exposition les rassemble ici dans une visée muséale et patrimoniale des œuvres en provenance directe des ateliers des artistes ou de leurs ayant droits, peu ou jamais vues du public. L’exposition a également comme objectif d’exhumer de ce passé récent des talents plus confidentiels, qui ont vécu parfois trop longtemps à l’ombre des « grands ».
Une liste de prix est disponible à l’accueil de la Patinoire, en consultation libre.
 
 
 
 
 
 
 Quatre thèmes structurent l’exposition, qui se visite au départ de la tour d’escalier au centre de la nef en direction de la galerie Valérie Bach.
1.    La mythologie de la vie quotidienne
 Pour les pays industrialisés du bloc occidental, l’après-seconde-guerre-mondiale inaugure une période de forte croissance économique. À l’échelle de la France, l’économiste Jean Fourastié en fixe le point de départ à 1947, année du premier plan Monnet pour « la reconstruction et la modernisation économique du pays », et la fin du choc pétrolier de 1973. Aussi, dans un essai paru en 1979, Fourastié qualifie-t-il cette période de « Trente Glorieuses », formule passée à la postérité. Si, depuis, les historiens en ont nuancé la portée, il n’en reste pas moins que, durant les années 1950 et 1960, la France a connu un taux de croissance annuel de l’ordre de 5%.
 Bénéficiant plus ou moins aux différentes catégories de la population, la croissance permet une démocratisation de la consommation. Si, en 1954, 7,5% des Français possèdent un réfrigérateur, ils sont 91% vingt ans plus tard. La société française est entrée dans l’ère de la consommation de masse.

Jean-Pierre BABOU, Par tous les temps, 1973, Acrylique sur toile, 150 x 150 cm
 
Le succès du Salon des arts ménagers illustre l’élan consommateur qui s’est emparé des Françaises et des Français. Fréquenté chaque année par plus de 900 000 visiteurs, le Salon quitte le Grand Palais en 1961 pour s’installer dans le tout nouveau Centre des nouvelles industries et technologies (Cnit) de La Défense. Là, sous une voûte en béton armée de 22 500 m2 sont exposés appareils et ustensiles qui constituent autant de reflets d’une époque placée sous le signe de la nouveauté, de l’hygiène, de la qualité de vie, du confort et du loisir. Un an plus tard, le Salon l'automobile quitte, à son tour, le Grand Palais pour s’installer au Parc des expositions de la porte de Versailles. L’automobile, symbole d’indépendance et de liberté, y attire, chaque année, près d’un million de visiteurs.
 
 
Cette offre pléthorique de produits de consommation est, à la fois, relayée et entretenue par une publicité omniprésente. Ainsi, que ce soit « en vrai » ou en images, les objets investissent le quotidien dans toutes ses dimensions, de l’intime au professionnel. Riches de significations, ils constituent, comme l’a montré Roland Barthes, une nouvelle mythologie. Tenaillés par une insatiable soif de consommation, les individus, ne songeant plus qu’à satisfaire leurs besoins, rivalisent en quelque sorte avec les dieux et héros des anciennes mythologies grecque et romaine. Des artistes ont choisi rendre compte de cette nouvelle réalité. Dotées d’une forte charge critique, leurs œuvres démontent les apparences, pour, au-delà, interroger, sinon soumettre à la question, la société de consommation.
 

Jean-Pierre BABOU, Salle de bain bleue, 1970, Acrylique sur toile, 65 x 50 cm
2.    Sex and love
 
La révolution sexuelle et la libéralisation des mœurs ne datent pas de Mai 68. En réalité, l’une et l’autre sont en route depuis le début des années 1960. La marche est longue tant une chape de plomb moral recouvre les sociétés occidentales. L’élan modernisateur des Trente Glorieuses semble s’être limité à la sphère économique… Les relations sexuelles avant le mariage sont interdites et il n’est pas rare que les jeunes femmes enceintes soient renvoyées par leurs employeurs ! La contraception n’en est alors qu’à ses balbutiements. Ainsi, en France, ce n’est qu’en 1967 que la loi Neuwirth autorise la pilule contraceptive depuis 1967.
 
Le Mouvement du 22 mars, à l’origine des « événements de Mai 68 », est né sur le campus de Nanterre où les étudiants ont interdiction, le soir, de rendre visite aux étudiantes. Les tenants de l’ordre moral condamnent alors la mixité des sexes hors l’empire du mariage et de la cellule familiale. Aussi, l’amour et le sexe occupent-ils une place importante dans les slogans scandés par les étudiants. «Faites l’amour, pas la guerre» et « Jouir sans entraves » sont encore dans les mémoires.
 
 
Gérard SCHLOSSER, Tu la vois toi l'alouette ?, 1976, Acrylique sur toile sablée, 120 x 120 cm
 En France et ailleurs, à la fin des années 1960 et au-delà, la contreculture multiplie les émules. La jeunesse s’attaque à la morale et aux institutions au nom de la libération du désir et de l’épanouissement des individus. Le Mouvement de libération des femmes (MLF) est très actif durant les années 1970, les féministes revendiquant leur propre jouissance sexuelle et défendant une procréation choisie : «Un enfant si je veux, quand je veux!» En 1975, la ministre de la Santé, Simone Veil, obtient, malgré des résistances, les plus virulentes venant de son propre camp, le vote de la loi sur l’Interruption volontaires de grossesse (IVG).
 Les milieux homosexuels, notamment le Front homosexuel d’action révolutionnaire (Fhar), créé en 1971, jouent un rôle non négligeable dans la libération des mœurs en cours. Divorces, unions libres, droit à la sexualité pour les jeunes, homosexualité revendiquée, libération de la parole et des images sur l’érotisme et la pornographie…, tous ces sujets ne sont enfin plus considérés comme tabous. Dès lors, y a-t-il lieu de s’étonner que les corps, celui de la femme, d’abord, celui de l’homme, ensuite, l’amour et le sexe constituent des thèmes récurrents des artistes. Trop longtemps les mœurs avaient été serrées dans un corset. Les artistes venaient d’en couper le lacet et les chaires respiraient, se dilataient, éclataient, au grand jour en une symphonie de couleurs et de désirs.
Jacques MONORY, Exercice de style n° 3, 1967, Huile sur toile, 110 x 110 cm
 
3.    L’Engagement politique et l’idéal révolutionnaire
 
Dans les années 1960, la peinture d’histoire qui a triomphé au XIXe siècle est largement discréditée par l’usage qu’en ont fait et en font, encore, les régimes totalitaires. Représenter des événements contemporains renvoie, alors, à une pratique d’un autre temps, celle des peintres du XIXe siècle, qualifiés avec mépris de « pompiers ». Seuls les tenants du réalisme socialiste semblent prêts à s’y risquer. Pourtant, dans des sociétés où les images règnent sans partage, qu’il s’agisse d’images publicitaires, de photographies ou de reportages d’actualités, le désir d’une peinture d’histoire engagée – et pourquoi pas d’avant-garde ? – est partagé par de nombreux d’artistes.
 
Il est vrai que les guerres coloniales leur fournissent un sujet idéal. La dénonciation de l’impérialisme devient un impératif artistique promis à un bel avenir, les États nouvellement indépendants restant étroitement liés aux puissances coloniales d’hier... Pour bon nombre d’artistes, l’impérialisme n’est rien d’autre qu’un nouvel avatar du fascisme.
 
Erro, Avanti Popolo, 1974, Acrylique sur toile, 98 x 69 cm
En témoigne le Grand Tableau antifasciste collectif (1960) auquel participent Erró et Recalcati. Sept ans plus tard, à La Havane, cent artistes, parmi lesquels Arroyo, Erró, Monory, Rancillac, créent, à l’initiative de Wifredo Lam, l’immense Mural Cuba Colectiva. Les « événements de mai » sont déjà dans l’air et les quelques semaines où la Sorbonne est occupée sont pour les artistes l’occasion de constituer un atelier populaire et de lancer, en guise de pavés, des sérigraphies passées à la postérité pour leur insolence, souvent, aussi juste qu’efface.
 
Mai 68 ne se limite pas à la France, loin s’en faut. Le Printemps de la jeunesse – à défaut d’un véritable « Printemps des peuples » – se propage au-delà du bloc occidental. Le « tout est politique » des étudiants contestataires est en passe de devenir une norme. Aussi, l’époque est-elle aux débats politiques. La contreculture qui dénonce l’ordre établi avec, à sa tête, l’État, rencontre un écho auprès des jeunes générations. Il n’est que de songer au succès de La Société de consommation de Jean Braudrillard, véritable manifeste de la contreculture édité en 1970, ou à l’influence du Éros et civilisation d’Herbert Marcuse, appel à une société non répressive, lancé en 1958. Les livres valent que si on en sort. L’engagement est alors synonyme d’action, parfois même de violence. La modération n’est pas à l’ordre du jour. L’art sera engagé ou ne sera pas !
 
Ivan MESSAC, Vive la vie !, 1976, Acrylique sur toile, 150 x 170 cm
 
4.    La citation à l’histoire
Cherchant tous à résister par l’image face au danger de l’abstraction, les peintres de la figuration narrative (ou assimilés au mouvement) se réclament de la filiation des grands maîtres de la peinture occidentale. Aussi n’est-il pas rare que, fiers de cet héritage dont ils affirment être les derniers tenants, ces artistes fassent citation des monstres sacrés tels que Rembrandt, Velasquez, Goya, Manet, Léger ou Picasso, reprenant à leur compte leurs inventions, leur rendant hommage ou subvertissant en toute irrévérence leur message et leur technique.
Alain JACQUET, Déjeuner sur l'herbe, 1964, Sérigraphie sur toile, diptyque, 175 x 195 cm
Cette citation s’inscrit également dans la démarche historique pleinement assumée des mouvements de gauche. L’histoire est en marche et est un éternel recommencement. L’art qui en rend compte doit également en faire la citation.

mardi 23 juin 2015

Agnès TURNHAUER

Studio as performance

Galerie Valérie Bach, jusqu'au 30 septembre 2015


Visiter à la Galerie Valérie Bach l’exposition « Studio as performance » de Agnès Thurnauer, c’est pénétrer dans l’intimité de l’artiste, son atelier, cet espace mental et matériel à la fois, lieu sacré, mythologique, matrice physique de toute création.


Agnès a voulu ici, sous la grande et lumineuse verrière de la galerie, recréer l’ambiance de son studio de création, de son cabinet de réflexion, en en reproduisant les murs salis, témoins des gestes de l’artiste, des salissures, éclaboussures et autres griffes, comme autant de saillies et de jaillissements donnant vie, dans un espace confiné et intime, à l’œuvre d’art.


Une œuvre qu’Agnès Thurnauer veut résolument tournée vers la peinture, l’acte de peindre étant chez elle aussi langage, métaphore et métonymie même, d’une pensée en action. Chez elle, la peinture est langage et support du langage.
 

Le labyrinthe de lettres en creux, traité dans la fonte d’aluminium, impose au spectateur une lecture en négatif de l’alphabet, permettant d’habiter ce vide en y prenant assise. Le verbe, au sens ontologique, est chez l’artiste un axe structurant son travail, en ce qu’il est créateur de sens, libératoire de la pensée, richesse essentielle de chaque identité. L’enfant qui apprend à parler structure sa pensée et son essence personnelle au moyen d’un mécano sémantique dont Agnès Thurnauer reprend le processus, comme une tentative à une reformulation de son moi.
 
Résultat de recherche d'images pour "agnes thurnauer galerie valerie bach"
 
L’histoire de l’art est également centrale dans sa production, l’artiste choisissant, comme autant de jalons temporels, des tableaux célèbres, pour en subvertir la surface picturale par l’apposition de textes, souvent riches de sens, commentaires impudiques d’un sujet qui l’est parfois, en silence, tout autant…

Résultat de recherche d'images pour "agnes thurnauer galerie valerie bach"


Thurnauer traite aussi de la question du genre, se jouant du sexe comme d’un concept philosophique, féminisant la classe masculine des grands artistes de l’art européen, dénonçant même par cet acte l’hégémonie du mâle dans l’acte créateur artistique, ou au contraire, ce faisant, lui rendant hommage dans un rougissement secret qui la ferait rêver d’en être l’objet.

Agnès Thurnauer incarne elle-même cette féminité assumée lorsqu’elle se livre à l’autoportrait de son corps, l’utilisant comme moyen d’expression. L’humour et la sensualité se nichent partout dans ses œuvres, offrant au spectateur la position d’un sujet regardant, sans voyeurisme, à la recherche du mot qui fait sourire, de la phrase ou de l’inventaire qui émeuvent et ébranlent.

Agnès Thurnauer est une artiste complète, puisqu’outre la peinture, elle sculpte à petite échelle les ébats des corps amoureux, dans une totale liberté qui n’oublie jamais l’élégance.

« Studio as performance » est une plongée dans la sincérité artistique d’une femme à la recherche de formes et de moyens multiples, toujours au service d’un acte créateur, tellement féminin.

A voir à la Galerie Valérie Bach jusqu’au 31 juillet 2015.

mercredi 11 février 2015

 


La prescription de Susplugas

 

Pour la seconde fois, la Galerie Valérie Bach expose, les œuvres de Jeanne Susplugas. L’artiste, qui vit actuellement à Paris, a réalisé ces dernières années une série d’œuvres exprimant l’enfermement sous toutes ses formes.

 

Depuis les années 90, Jeanne Susplugas questionne le rapport individuel aux maux de la société contemporaine, ses dérives, ses faux-semblants, cette hypocrisie du mieux occultant un pire, et qui ne tient jamais ses promesses.

Jeanne Susplugas - courtesy Galerie Magda Danysz - Les Bains - photo  Stephane Bisseuil (2)

 

Tout son œuvre met en scène le malaise social physique et psychique en en dénonçant la banalisation et l’apparente négation de ses ravages. Dans une prise d’otage permanente, l’artiste situe le spectateur dans un voyeurisme contraint, le mettant au centre d’un univers dont les échelles ont changé, témoin complice de ses propres faiblesses : recours compulsif aux drogues, blancheur d’une saveur absente et désirée, contact existentiel à des volumes uniformes, à des lignes de fuites sans avenir, à de coupantes arêtes, aux matériaux déprimés, monochromes et mornes.


 

Le traitement préconisé par l’artiste face à ce malaise est précisément la dénonciation du traitement pharmaceutique de l’existence, l’aveu de cette chirurgie esthétique de l’âme que traduit le refus de l’individuation du malaise social, cette phobie de la maladie qui n’en est que la conséquence, et la négation du culte de la santé à tout prix. Cette prescription se fait en négatif. Par son œuvre qui impose le silence, c’est à la couleur, à la sensualité et à la vie qu’appelle Jeanne Susplugass.

Résultat de recherche d'images pour "jeanne susplugas"
 

Son travail qui allie la performance, la vidéo, le dessin, la sculpture et l’installation, s’attache également à traiter le langage dans la mise en exergue lumineuse de mots choisis, forts de significations, qui accompagnent l’œuvre générique toute faite de sobriété plastique et poétique. Derrière cette façade lisse et immaculée du monde médical, se dissimule un souci artificiel de bien-être qui n’est pas synonyme d’« être bien ».

 

En convoquant un univers maladif et froid Jeanne Susplugas cache une réalité faite de souffrance, d’angoisse et d’aliénation.
 
Résultat de recherche d'images pour "jeanne susplugas"
 

Au fil de son travail, la plasticienne se lance dans l’exploration du corps en tant que sujet d’enfermement, la boîte étant chez elle un thème récurrent. La mise en boîte de ses contemporains les confronte à la réalité d’une société qui a fait le choix du conditionnement – au sens pavolvien du terme -  produisant des êtres empaquetés, étiquetés, réduits au rang de consommateur-produits, ouvreurs et fermeurs de cartons. Ses travaux traduisent tous une réflexion sur les comportements de la déchéance sociale, sur la dérégulation de l’être au profit de l’avoir, sur le danger d’être moi avant d’être soi.

Résultat de recherche d'images pour "jeanne susplugas"
 

Grâce à la dérision, au cynisme et à l’apparente simplicité esthétique de ses œuvres, l’artiste nous amène à poser un regard critique sur nous - mêmes. Dépendance, asservissement, accoutumance, Jeanne Susplugas nous renvoie finalement, tel un miroir, à l’introspection de notre propre mal-être.


Dans une dialectique enfantine autour du jeu, du monde en petit, des maisons habitables, des églises de papier, des Merveilles d’Alice et de son pays enchanté, se niche une interrogation terrible sur la peur, cette peur viscérale et irrépressible, qui conduit le spectateur à déambuler dans un monde horrifiant, car froid, glacial, inanimé, dématérialisé.

 

L’exposition s’articule autour de l’installation « All the World’s a Stage »,  titre faisant référence au célèbre monologue de William Shakespeare « As You Like It » où ce dernier compare la vie à une pièce de théâtre. Les performances organisées occasionnellement autour de celle-ci  se font écho de la thématique intrinsèque au titre.

 

Les installations vidéo et le jeu des acteurs autour de la composition architecturale en carton captent l’attention du visiteur et ne font que renforcer le processus artistique de Jeanne Susplugas, alliant attirance et oppression. En effet, après un sentiment de familiarité et de sécurité, surgit une dérangeante sensation de cloisonnement et de sujétion au joug social.

 

Citant implicitement les mondes de Hitchcock, de Caroll et de King, l’œuvre de Jeanne Susplugas s’installe et s’imprime dans les méandres tortueux de notre psychisme malade et subverti d’homme contemporain, projetant ce dernier vers des horizons sans ligne, des cieux sans voûte, des surfaces sans texture, telle la page blanche et immaculée d’un cerveau atone, siphonné de toute empreinte de la douce réalité.